Réforme territoriale: «Le grand débat semble avoir été esquivé»
INTERVIEW•C’est ce qu’analyse Anne-Marie Thiesse, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la question des identités nationales…Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud
La notion d’identité est au cœur du projet de réforme territoriale enclenché par le gouvernement. Directrice de recherches au CNRS, spécialiste de la question des identités nationales, Anne-Marie Thiesse répond à 20 Minutes…
Les identités régionales sont-elles importantes?
Tout d’abord, je précise que l’identité est une image collective construite, une représentation que la collectivité locale se donne d’elle-même et qui évolue avec le temps. Les régions sont des agrégats artificiels des départements, qui sont eux aussi des constructions. Les lois Defferre [de décentralisation, votées en 1982, ndlr] ont donné aux régions des compétences, une assemblée élue, un budget, une image représentée notamment par un logo. Et il est intéressant de voir que ces régions, des constructions artificielles contestées à leur création, donnent aujourd’hui du sens aux Français.
Pourquoi le découpage territorial est-il mal vécu?
Aujourd’hui, en période de grandes angoisses identitaires face à la globalisation, il y a un danger à manipuler le territoire. Les régions constituent des références identitaires jeunes mais qui donnent du sens, car elles sont le lieu d’une pratique politique, économique, culturelle. Ensuite, présenter le projet de ces nouvelles régions par le biais des économies alors que les Français sont angoissés était, de la part du président de la République, très maladroit. Il eut fallu promettre de faire mieux plutôt que faire moins. Car ce «faire moins» peut être compris par les Français comme un abandon de l’Etat.
Par exemple, les partisans du rattachement de la Bretagne et des Pays de la Loire donnent aujourd’hui de la voix…
Cette revendication au rattachement de Nantes à la Bretagne n’a rien de nouveau, il date d’un siècle environ. Ce découpage était débattu sous la IIIe République notamment. Mais faut-il que les arguments historiques soient déterminants dans la construction d’une identité? Pas forcément. Je m’explique: Pour la Bretagne, on pourrait remonter au duché de Bretagne, à la Renaissance pour revendiquer cette identité. Mais que fait-on du reste de la France? Peut-on invoquer la Renaissance pour créer des territoires? Jusqu’où doit-on remonter dans l’histoire? Pour l’Alsace [qui n’a pas toujours été française, nldr] par exemple, cela n’a pas de sens.
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Les nouvelles super-régions pourraient-elles être adoptées en une génération, comme l’ont été les régions?
C’est un pari sur l’avenir. Mais les questions principales liées à cette réforme territoriale sont plutôt: «Va-t-on vers une réelle décentralisation ou fait-on une simili-décentralisation?»; «Les prérogatives du pouvoir central sont-elles modifiées ou assiste-t-on à un nouveau centralisme du pouvoir?». Aujourd’hui, nous n’avons pas de réponses à cela. Mais si cette réforme territoriale est d’intérêt national, le grand débat semble avoir été esquivé. En effet, ce projet ne tranche pas sur le cœur de toute réforme territoriale depuis 150 ans, c’est-à-dire le département. Supprimer ces territoires nécessiterait une réforme constitutionnelle, et un consensus au Parlement. Ce dont ne dispose pas le gouvernement.