Vivre ensemble, une équation épineuse pour les maires
POLITIQUE•Face à la perte des solidarités, les villes organisent des opérations pour limiter la casse sociale...Anne-Laëtitia Béraud
Les maires en difficulté devant les défis du «vivre ensemble» en ville. Déliquescence du tissu social, isolement, montée des peurs, multiplication des actes de petite délinquance et repli identitaire, les résultats de l’enquête de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (Odas), publiés jeudi, sont déroutants. Comment renouveler les solidarités alors que «l’absence de continuité de l’Etat, avec des priorités changeantes, désoriente les élus locaux?», interroge Jean-Louis Sanchez, délégué général de l’Odas, qui a piloté l’étude.
Si la lutte contre la précarité économique reste un enjeu prioritaire des maires, le combat contre «les précarités relationnelles et identitaires» se fait plus pressant, souligne-t-il. «C’est dans la très grande proximité, à l’échelle des villes, que l’on construit les liens et les repères aux gens», résume-t-il, avant de pointer les «difficultés de coordination entre les services de la ville, du département, de l’Etat et les associations».
Des opérations de solidarité au niveau local
Les actions pour favoriser le «vivre ensemble» pourraient ressembler à vider un océan à la petite cuillère. Et pourtant, «c’est par la multiplication de petites opérations sur l’ensemble du territoire que les initiatives réussissent», confie Edgar Minimbu, adjoint au maire d’Aubervilliers, chargé de l’accueil des nouveaux habitants. «Historiquement, Aubervilliers est une ville d’accueil de nouvelles populations, et c’est pourquoi elle appuie des opérations ciblées qu’il faut sans cesse évaluer et renouveler», ajoute cet élu, engagé dans la certification des services et la réorganisation des locaux municipaux.
A chaque ville sa situation. «Les difficultés sociales et économiques progressent, comme en témoigne l’afflux aux associations d’aide comme les épiceries sociales et les Restos du cœur», relève Michel Berthier, adjoint au maire de Poitiers délégué à la cohésion locale et à la solidarité. «Mais dire que cela a craqué, non. La situation de Poitiers n’a rien à voir avec certaines villes de région parisienne, ou même de villes plus petites comme Angoulême ou La Rochelle, qui connaissent des difficultés», continue-t-il.
«La précarité isole, écrase»
Mais le combat est quotidien, ciblant des problèmes qui paraissent a priori microscopiques. «On s’est battu comme des chiens pour qu’un distributeur de billets (DAB) de La Poste soit maintenu dans un de nos quartiers», relate Michel Berthier. «C’est remonté jusqu’au niveau national: on nous répondait que ce DAB n’était pas rentable économiquement. Mais pour nous, il était rentable socialement. Car un quartier déjà isolé qui perd son DAB, c’est fini. Les gens ne vont ailleurs faire leurs courses, et c’est la fin des commerces de proximité», continue l’élu.
Parfois, les initiatives locales se passent même d’argent. A Bordeaux, l’un des projets d’«auto-production» concerne la mise en place d’une «accorderie». Imaginé au Québec et égrenant en France, il s’agit d’un système d’échange de services entre les habitants, non monétaire, qui se base sur les savoir-faire des uns et des autres.
Pour Véronique Fayet, adjointe au maire chargée des solidarités, «c’est une démarche qui intègre les plus démunis car il n’y a pas de contrepartie financière. Et comme pour les chantiers d’auto-réhabilitation d’appartements, de garage solidaire ou de "troc-party", de nouveaux liens se construisent». Mais l’élue reste lucide: «La précarité isole, écrase. Et dans les villes importantes, elle peut être grande et silencieuse. Mais si d’un côté, on est frappé par cette précarité, de l’autre, on peut aussi être frappé par le nombre de nouvelles initiatives locales pour y remédier.»