INTERVIEW«Cette baisse de population constatée chez les insectes a de quoi alarmer»

De moins en moins d’insectes : «On ne parle pas seulement d’une espèce mais de toute une communauté animale»

INTERVIEWUne étude scientifique menée sur 27 ans observe de fortes chutes de population d’insectes en Allemagne. Jean-François Sivlain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, la commente pour 20 Minutes...
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • La biomasse des insectes volants, essentiels aux écosystèmes, a diminué de plus de 75 % en près de trente ans en Allemagne.
  • La perte de biodiversité végétale est souvent avancée pour expliquer les déclins d’insectes. Mais pour cette étude, réalisée dans des aires naturelles protégées, ce facteur ne tient pas.
  • Il faut donc chercher ailleurs… et regarder du côté de l’intensification des pratiques agricoles ?

«Nos résultats documentent un déclin dramatique des insectes volants, de 76 % en moyenne et jusqu’à 82 % au milieu de l’été, dans les aires protégées allemandes en seulement vingt-sept ans »… Les conclusions de Caspar Hallmann, entomologiste à l’université Radboud (Pays-Bas) et ses coauteurs ont de quoi alarmer.

Leur étude, publiée ce mercredi dans larevue PloS One, laisse entrevoir une chute importante des populations d’insectes sur les trente dernières années en Allemagne, qu’on pourrait très vraisemblablement décliner à d’autres pays d’Europe aux pratiques agricoles semblables. La France en tête. Jean-François Sivlain, directeur de recherche à l’ IRD (Institut de recherche pour le développement) et président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) commente l’étude pour 20 Minutes.

Ces résultats vous surprennent-ils ?

Ils ne me surprennent pas parce que la question du déclin des insectes est un sujet que la communauté scientifique aborde depuis un moment. Des articles scientifiques de qualité, publiés au début de l’été, ont ainsi souligné les fortes menaces qui pesaient sur la biodiversité. Que ce soit l’accroissement démographique ou l’accroissement des consommations des ressources naturelles par l’homme. Par ailleurs, les auteurs de l’étude publiée ce mercredi dans PloS avaient déjà partagé des résultats préliminaires laissant pressentir leurs conclusions alarmantes.

Qu’apporte alors cette nouvelle étude ?

La méthodologie suivie est très intéressante. Les scientifiques ont analysé 1.500 échantillons d’insectes volants capturés sur 27 ans et toujours selon la même technique de la « tente malaise » [une structure en tissu de type mousquetaire dressée dans le milieu naturel]. Ce sont des pièges non-sélectifs. Ils permettent de ne pas se focaliser sur une espèce précise, comme on a pu faire par le passé avec les abeilles ou les papillons, mais d’avoir au contraire une estimation du déclin de toute une communauté biologique, celle des insectes. Cette approche globale, qui rend d’ailleurs les conclusions de l’étude d’autant plus alarmantes encore, est un vrai plus.

Pourquoi l’agriculture intensive est soupçonnée d’être le premier responsable de ce déclin ?

C’est une autre valeur ajoutée de l’étude. Les 1.500 échantillons ont été capturés sur une longue période (27 ans) dans 63 aires naturelles protégées en Allemagne, dont 37 zones Natura 2000… Il s’agit à chaque fois de zones tampons, préservées de l’incidence de l’anthropisation. Malgré tout, le déclin de population s’est produit. Une des causes habituellement avancées pour expliquer le déclin des insectes est la perte de la biodiversité végétale que provoque un changement d’usages des terres. Typiquement, la transformation d’une forêt en zone agricole. Mais ce facteur ne tient pas lorsque le déclin est observé dans des zones protégées. Il faut chercher ailleurs. Les 63 aires de prélèvement se trouvant pour la plupart au milieu de zones de cultures, les auteurs de l’étude en viennent alors à soupçonner l’intensification des pratiques agricoles. L’étude reste prudente et elle a raison. Mais ce déclin important, qui touche l’ensemble de la communauté des insectes et qui concerne toutes les aires étudiées, nécessite de trouver un facteur de grande échelle. Or l’intensification des pratiques agricoles, notamment le recours accru aux pesticides, est un phénomène marquant des pays développés d’Europe occidentale ces cinquante dernières années. D’autres études scientifiques ont montré que l’utilisation d’ insecticides néonicotinoïdes [agissant sur le système nerveux des insectes] a généré des mortalités importantes chez des populations d’insectes non-ciblés au départ, comme les abeilles.

Les mesures publiées dans PloS One ne concernent que l’Allemagne… Faut-il s’attendre à des résultats semblables en France ?

C’est fort probable oui. Dans Le Monde, Vincent Bretagnolle [chercheur au CNRS] parle ainsi du phénomène « pare-brise ». Il permet en effet, très rapidement, de prendre conscience de la réalité des changements que nous sommes en train de connaître. Dans mon enfance, vous faisiez 300-400 kilomètres en voiture, vous deviez vous arrêter pour nettoyer le pare-brise souillé par les impacts d’insectes. Il n’y a plus besoin de le faire aujourd’hui. En Allemagne, comme en France.

Pourquoi un déclin des populations d’insectes est-il un très mauvais signe ?

Nous vivons dans un monde majoritairement peuplé d’insectes. Ils représentent une large majorité des espèces décrites sur Terre. Or ils ont un rôle crucial dans les réseaux trophiques, c’est-à-dire des systèmes d’alimentation qui se mettent en place entre êtres vivants. Ils sont une source de nourriture importante pour de nombreux animaux, notamment beaucoup d’espèces d’oiseaux, qui sont à leur tour chassés par d’autres prédateurs. Les insectes sont un socle de la chaîne alimentaire. Voilà pourquoi cette baisse de population constatée chez les insectes a de quoi alarmer.