ALIMENTATIONLe foie gras, la mauvaise conscience des repas de Noël

Le foie gras, la mauvaise conscience des repas de Noël

ALIMENTATIONManger du foie gras sans faire de mal à un animal, est-ce possible?...
Du foie gras.
Du foie gras. - Benedicte Desrus / Sipa Press
Audrey Chauvet

Audrey Chauvet

C’est un monument gastronomique français que les associations de protection animale tentent de déboulonner: le foie gras, incontournable lors des fêtes de fin d’année, est au cœur de vives polémiques. Accusé d’être produit dans des conditions intolérables pour les volailles, le foie gras reste malgré tout un fleuron de l’agriculture française: la France est le premier pays producteur de fois gras au monde et les quelque 8.000 éleveurs du pays gavent leurs animaux en toute légalité grâce à un amendement inscrit dans le Code rural.

Pas de foie gras sans gavage

Interdit dans plusieurs pays pour cause de cruauté envers les animaux, le foie gras reste donc une exception culturelle française que les associations de protection des animaux veulent abolir. Parmi elles, L214 a frappé fort en cette fin d’année avec des actions chocs visant plusieurs grands chefs accusés de se fournir en foie gras auprès d’un fabricant aux méthodes de gavage déplorables. Sondage à l’appui, l’association affirme que 29% des Français refusent d’acheter du foie gras pour des raisons éthiques et 77% préfèreraient un foie gras obtenu sans gavage. «Le gavage est vu comme un mauvais traitement sur les animaux, il provoque un sentiment de malaise», estime Brigitte Gothière, porte-parole de L214.

Or, la législation française et la biologie sont formelles: sans gavage, pas de foie gras. La pratique remonte aux Egyptiens, qui avaient constaté que les oiseaux migrateurs faisaient des stocks de graisse avant de partir en voyage. Le gavage est ainsi «une suralimentation exacerbée par rapport à ce que l’animal fait seul», explique Gérard Guy, ingénieur de recherches à l’Inra, dans l’Unité expérimentale des palmipèdes à foie gras. Dans le cadre de recherches sur les méthodes alternatives au gavage, Gérard Guy a observé qu’en simulant les conditions de la saison des migrations par la luminosité notamment, les oies se mettaient à manger plus. Résultat, un «engraissement général de l’animal», principalement en sous-cutané, mais aussi de son foie. Pas autant que pendant un gavage industriel, mais assez pour expliquer que le foie gras n’est pas issu d’un animal irréversiblement «malade»: «Les cellules gonflées de graisses peuvent revenir à leur état normal et les cellules hépatiques ne sont pas altérées», assure le chercheur.

Foie gras «naturel» ou «faux gras»

De là à laisser les oies se gaver toutes seules, il y a un pas qu’un seul producteur espagnol a franchi: dans sa ferme de l’Estrémadure, Eduardo Sousa produit du foie gras «naturel» d’oies qui se suralimentent volontairement de glands, olives ou figues dans un grand parcours en plein air. Récompensée lors du Salon international de l’alimentation (Sial) en 2006, la «Pateria de Sousa» n’est toutefois pas un modèle économiquement viable selon Gérard Guy: «Il met un an à produire ses foies», explique le chercheur français, qui chiffre à 3 mois et demi environ la durée d’élevage en France. «Et ils sont vendus cinq à six fois plus chers que les foies gras conventionnels.»

Ethique et foie gras seraient donc définitivement irréconciliables? Pour ceux qui refusent d’imaginer un animal gavé sur la table de Noël, L214 recommande «d’opter pour une gastronomie végétalienne», par exemple en mangeant du «faux gras» à base de levure, d’amidon de pomme de terre et d’huile (de palme, ce qui ne réjouira pas les amis des orangs-outans). Mais pour ceux qui jugent que le foie gras reste irremplaçable sur la table des fêtes, il faudra bien se faire à l’idée qu’un animal a payé de sa personne: «Lorsque les éleveurs le font dans les règles de l’art et respectent l’animal, le gavage n’est pas une pratique agricole plus horrible qu’une autre, rappelle Gérard Guy. Mais il faut bien s’entendre sur le fait qu’à la fin, on tue l’animal pour le manger, et qu’en le tuant on nuit gravement à sa santé…»