Grande distribution: Les mensurations trop parfaites de la banane
DOCUMENTAIRE•Canal+ diffuse mercredi soir un documentaire choc sur le gaspillage alimentaire...Audrey Chauvet
Malheur à la banane dont le tour de taille dépasse les 46mm ou au concombre qui, piqué par un insecte, ne sera pas parfaitement lisse. Soumis aux exigences esthétiques de la grande distribution, ils finiront à la poubelle, ou dans le meilleur des cas dans les mangeoires à bétail. Le documentaire Global gâchis, diffusé mercredi soir sur Canal+, remonte aux origines d’un immense gaspillage alimentaire: chaque année, un Français jette 90kg de nourriture encore consommable, dont la moitié sont des fruits et légumes.
850 millions d’euros à la benne
Basé sur un best-seller du militant britannique Tristram Stuart, le film d’Olivier Lemaire donne la parole à des agriculteurs, qui comme Angélique Delahaye, maraîchère en Touraine, jette parfois «20 à 30% de la production» et à des consommateurs qui mettent à la benne l’équivalent de centaines d’euros par an. Entre les deux, des distributeurs qui n’ont pas revu à la baisse leurs exigences sur l’apparence des produits malgré l’abandon des calibres réglementaires européens, et qui jettent chaque soir des tonnes de pain et de viennoiseries que les éleveurs n’ont plus le droit de récupérer pour des raisons sanitaires. En France, les hypermarchés jettent environ 850 millions d’euros d’aliments par an, majoritairement du pain et des légumes.
Pourtant, même si encore un milliard d’hommes ont faim dans le monde, des solutions apparaissent, via des banques alimentaires, des restaurants qui remettent les abats au goût du jour ou des associations. Au Japon, une loi interdit le gaspillage et oblige les industriels à trouver une seconde vie aux aliments. Faut-il en passer par là pour éviter le gâchis? «Ca me paraît indispensable, pense Olivier Lemaire, réalisateur du film. Quant on voit les chiffres du gaspillage, la solution ne peut pas reposer uniquement sur la bonne volonté des particuliers.»
Encore un peu de rate de porc?
En attendant, chaque geste compte, comme réhabiliter les abats. De là à manger de la rate de porc… «Si parmi les gens qui ne sont pas contre le principe d’essayer, il y a un petit pourcentage qui aime ça, c’est toujours ça de gagné, estime Olivier Lemaire. Un jour je me suis mis à manger des ris de veaux et j’ai trouvé ça bon. Alors si on peut économiser quelques millions de rates de cochons, faisons-le.» De son côté, Tristram Stuart organise depuis quelques années des «currys géants» au cours desquels il distribue gratuitement à 5.000 personnes un repas concocté avec les rebuts des magasins. Samedi dernier, les équipes de Canal+ se sont attelées au découpage de 1,2 tonne de légumes et à la distribution des assiettes sur le parvis de l’Hôtel de ville à Paris.
Ces currys sont cuisinés avec ce que les distributeurs ne veulent pas: les légumes déformés, abîmés, imparfaits: «C’est l’évolution esthétique et morale de la société qui veut ça, on va vers l’uniformisation, le lissage, pense Olivier Lemaire, réalisateur du film. C’est la question de notre rapport à la différence qui sous-tend le film. Commençons par les tomates, ensuite on verra pour les humains…»