Devenir bilingue en langue des cités

Devenir bilingue en langue des cités

SOCIETE – Un petit décodeur dévoile les nouveaux mots des banlieues, laboratoire de néologismes…
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

«Ton kissman (mec) de Bezbar (Barbès en verlan), il est dans le game (dans les magouilles), il a chargé le coffre (dissimuler la drogue dans le coffre), il est khapta (défoncé). »

Si cette phrase ressemble à du chinois pour vous, Le petit livre de la tchatche* pourrait s’avérer utile. Ce dictionnaire des néologismes nés en banlieue répertorie les expressions imagées et exotiques pour apprendre le parler des cités, les traduit et propose des exemples types. Mariant anglicisme, mots d’arabe, expressions venue d’Afrique subsaharienne ou encore le vétéran verlan, l’argot des banlieues, qui se réinvente particulièrement grâce aux emprunts, ne manque ni d’humour ni d’inventivité.

Des anglicismes et des mots d’Afrique subsaharienne

Au chapitre « nés au bled », on découvre ainsi, habibette, ma chérie ou plus simplement une fille, hchouma, la honte ou zahef, énervé. Les immigrés d’Afrique noire ont enrichi la langue française de s’enjailler, s’amuser et taf-taf, vite fait en wolof. Ce petit décodeur apprend aussi pourquoi bibi est devenu un verbe (dealer), choupette concerne une voiture, chtar un synonyme de policier et nous apprend l’origine du bienaimé « bolos » ou encore l’expression actualisée de à la one again (à la zeub).

Des mots entrés dans le dico

Le rap, les clips et l’école ont permis à ces noélogismes de sortir de la cité. Si bouffon et rebeu ont déjà gagné leur place dans le Larousse, il y a fort à parier que d’autres expressions à découvrir dans ce petit livre, qui s’achève sur un quizz pour tester votre bilinguisme, viendront garnir la langue française homologuée. Et ainsi perdre son rôle de marqueur social. « A partir des années 1980, une identité linguistique s’est cristallisée dans les grands ensembles, explique Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique. Aucune politique de la ville n’a changé cette ségrégation. Les jeunes vivent toujours en relégation aussi bien géographique qu’économique. Pour marquer leur distinction identitaire et pour répondre à un besoin, ils ont créé un lexique pittoresque et intéressant. »

Une langue pour montrer sa différence

La fécondité de cette langue s’explique donc par ce besoin de renouvellement de mots dont le rôle était de marquer sa différence par rapport au reste de la société. « La fonction cryptique est la base de la création de tout argot puisqu’il est créé pour que les gens qui n’appartiennent pas à cette communauté ne le comprennent pas. Mais il y a aussi une question de génération. Ces jeunes des banlieues inventent des expressions pour montrer qu’ils ne sont pas des vieux. » Pourtant, certains mots répertoriés ont des racines très anciennes. « Ainsi le mot bled était déjà utilisé au XIXe siècle, au moment de la colonisation. De même, on retrouve le mot darons (parents) dans les romans noirs des années 1950 et pourrait avoir été inventé par la pègre parisienne de l’époque. » Vincent Mongaillard cite aussi blaz, un mot qui vient du rap mais surtout un descendant de blason, qui définissait les emblèmes des familles nobles au XIXe. Cette petite grammaire des cités instructive devrait être rapidement obsolète étant donné le renouvellement perpétuel de cette langue fort vivante.

* 2,99€. Le petit livre de la tchatche, Vincent Mongaillard, First Editions, mai 2013.

Glossaire par ville

-Krypton (origine Ivry et Vitry dans le Val-de-Marne) : pour désigner les consommateurs de drogue qui viennent jusque dans la cité pour s’approvisionner. Un mot qui fait référence à la planète de Superman, signe de l’éloignement entre ces deux mondes.

- C’est mabe (origine Villiers-le-Bel dans le Val d’Oise) : ça craint. Une expression qui vient du mot Mabe, qui signifie mauvais en lingala.

- Faire ses bails (originaire d’Evry, en Essonne) : faire des affaires.