INTERVIEWEric Delobel: «On nous fait un procès d’intention»

Eric Delobel: «On nous fait un procès d’intention»

INTERVIEWLe directeur du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes fait le point sur la situation...
Propos recueillis par Frédéric Brenon

Propos recueillis par Frédéric Brenon

Compte tenu de la forte opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, est-il facile en ce moment de travailler pour Vinci?

En tant que concessionnaires nous sommes au centre du projet, pour le bien et pour le pire. Dans ce type de projet il y a toujours des hauts et des bas. La contestation est légitime et n’est pas propre à Notre-Dame-des-Landes. On en a l’expérience chez Vinci. Mais il est bon, aujourd’hui, de rétablir quelques vérités. Il faut probablement qu’on fasse encore plus en terme de pédagogie. Expliquer et réexpliquer encore ce que sera cet aéroport du grand ouest. Il y a des faits qui permettent d’avoir confiance.

Une «commission du dialogue» vient d’être créée par le gouvernement. Les opposants au projet n’y sont pas très favorables. Ce dialogue est-il possible?

Il est difficile de dialoguer avec des personnes qui agissent avec violence, de façon illégale, et pour lesquelles l’aéroport n’est qu’un prétexte de revendications plus larges. Quant à l’opposition légale, nous restons à l’écoute. Mais on peut se demander si elle a vraiment envie de dialoguer ou pas. Quand on mène plusieurs démarches, au plus haut niveau, et qu’à chaque fois elles sont refusées, ça laisse réfléchir. L’aéroport se fera forcément dans le débat. Il nous semble que cette commission du dialogue va dans ce sens.

Vinci est parfois la cible d’attaques. Y-a-t-il un risque de dérives?

Ce n’est pas une hypothèse à écarter. Quand on lit les sites tenus par ces opposants anarcho-autonomes, il y a quand même un appel à la violence, qu’il faut prendre en considération. Au-delà de l’agression d’une violence inhumaine, extraordinaire, dont a été victime un agent d’une société de surveillance récemment, on comptabilise des dizaines d’actes de délinquance, pas que sur la région nantaise. Plusieurs pelles mécaniques ont été cassées, incendiées. On ne compte plus les locaux saccagés, tagués, les intrusions. C’est tout à fait inadmissible. On en parle peu. Nous aspirons juste à travailler dans des conditions normales.

Compte tenu du report des travaux de défrichement et de la présence d’opposants et propriétaires sur la zone aéroportuaire, faut-il envisager déjà un retard?

Il est trop tôt pour dire s’il y aura ou pas un report de l’ouverture prévue en 2017. Cela dépendra notamment du débouché des accords passés en mai avec certains propriétaires. Le planning global intègre aussi des aléas. Ce qu’on peut dire, c’est qu’on est toujours en mesure de commencer les travaux préparatoires début janvier. Nous avons déjà acquis 96% des terres, dont 85% à l’amiable. C’est une surface suffisamment importante pour lancer des travaux de grande ampleur.

«Une clause prévoit l’annulation du projet. Mais ce n’est absolument pas d’actualité»

Le projet peut-il encore être annulé?

Une clause le prévoit, comme dans tous les contrats. Mais ce scénario n’est absolument pas d’actualité. Il a encore été réaffirmé récemment, à plusieurs reprises, que l’aéroport se fera.

Il se murmure que, compte tenu des pénalités inscrites au contrat, renoncer à l’aéroport coûterait plus cher à l’Etat que de le construire. Est-ce une absurdité?

Non, ce n’est pas une absurdité.

Votre programme de compensations écologiques est particulièrement critiqué. Le comprenez-vous?

On ne demande pas de blanc-seing. Mais on ne comprend pas le procès d’intention qui nous est fait. Nous avons opté pour une méthode de compensation, certes innovante, qui a été jugée conforme et pertinente par la commission d’enquête. Les deux réserves notifiées sont liées à la nomination d’un collège d’experts indépendants : c’est ce qui va être fait. On a tellement travaillé le sujet, on l’a tellement confronté, que nous ne pouvons qu’être sereins.

L’actuel aéroport nantais sera-t-il vraiment saturé? Les opposants n’y croient pas.

On nous avait dit que les estimations de trafic mentionnées dans la déclaration d’intérêt publique (DUP) étaient totalement infondées, trop optimistes. Or aujourd’hui on est trois ans en avance ! On a déjà le trafic prévu pour 2015. Nantes-Atlantique est l’un des aéroports les plus dynamiques de France. Et il faudrait s’arrêter là? Tous les chiffres montrent que le trafic ne va cesser d’augmenter.

Le nouvel aéroport est également jugé trop coûteux…

Certains parlent de milliards d’euros! La vérité c’est que la plateforme aéroportuaire coûte 448 millions d’euros. Vinci en apporte 315 millions, soit plus de 70% venus du privé. Si les résultats d’exploitation sont supérieurs aux attentes, les financeurs publics seront les premiers bénéficiaires. In fine, ça peut être une opération blanche pour eux. Par ailleurs, ce sont les usagers (voyageurs et compagnies) qui rembourseront cet investissement. Pour le contribuable, ce sera relativement neutre.

«C’est difficile à entendre mais un aéroport c’est avant tout des espaces verts»

Mais des espaces naturels et agricoles vont disparaître...

On entend dire que l’on va bétonner plus de 2000 hectares… La réalité c’est que l’aéroport, à l’ouverture, c’est 537ha dont seulement 147ha imperméabilisés, c’est-à-dire bitumés. Le reste ce sera des espaces verts ! C’est peut-être difficile à entendre mais un aéroport c’est avant tout des espaces verts ! Concernant le périmètre de la DUP, sur les 1650ha du périmètre, plus de la moitié resteront en zones naturelle ou agricole. Quant aux exploitants agricoles concernés, ils sont au nombre de quarante. Sur ces quarante, on a conclu un accord à l’amiable avec trente. Et sur ces trente, vingt-cinq continueront leur exploitation sans déménager. Ça, ce sont les faits.

Quel sera alors l’impact environnemental?

Si l’on veut bien croire que ce qu’on va impacter d’un point de vue écologique sera compensé, il faut aussi noter qu’en plus on va libérer l’actuel aéroport de deux contraintes majeures: le bruit et le survol du lac de Grand-Lieu. Par ailleurs, il pourra être remplacé par un nouvel aéroport conçu à partir d’une feuille blanche. C’est une opportunité rare en Europe. On pourra y intégrer toute une démarche environnementale: récupération des eaux de pluie, optimisation de l’éclairage, bâtiments économes, mutualisation de deux pistes pour limiter le temps de roulage et donc la consommation de carburant, etc. Si on fait l’addition de tout ça, on peut incontestablement parler de plus-value écologique. Mais, ça, c’est si on ne nous fait pas de procès d’intention.

La commission de dialogue se heurte aux exigences des anti-aéroport

Promise par le gouvernement le 23 novembre 2012, la «commission de dialogue» destinée à apaiser les tensions autour du projet d’aéroport a bel et bien vu le jour ce week-end du 2 décembre. «Nous ne jugeons pas le projet», promet Claude Chéreau, l’un des trois experts-médiateurs désignés. L’objectif est de «s’assurer que tout le monde a bien compris les tenants et les aboutissants» du dossier en allant à la rencontre des «gens qui voudront bien nous parler». La mission doit durer trois mois.

Considérant qu’il n’est «pas possible d’accepter qu’on nous réexplique simplement, comme si nous l’avions mal compris, un dossier que nous connaissons fort bien», la coordination des opposants à l’aéroport a émis des conditions pour participer à cette commission. «Nous dénonçons l’opération de communication engagée qui vise à créer l’illusion que le dialogue est possible, explique-t-elle. Nous demandons solennellement au président de la République de se saisir du dossier et de répondre à nous justes revendications: retrait des forces de l’ordre, arrêt des expulsions, gel des travaux et réel débat sur le fond du dossier.» Une position également défendue par la Ligue des droits de l’homme et par plusieurs élus écologistes. Moins ferme, le député EELV François de Rugy réclame, lui, «transparence», «démarche contradictoire», «absence de tabou» et «indépendance» à cette commission.

«Quand on mène plusieurs démarches et qu’à chaque fois elles sont refusées, on peut se demander si cette opposition légale a vraiment envie de dialoguer ou pas», s’interroge Eric Delobel.