«Alep est le symptôme du drame absolu que vivent les civils en Syrie»
CONFLIT•Le cliché d’Omran, érigé en symbole d’un conflit meurtrier et interminable, témoigne du déferlement de violence qui s’abat sur Alep depuis quatre ans…Hélène Sergent
Le regard fixe d’Omran, garçonnet syrien âgé de 4 ans assis sur le fauteuil d’une ambulance après le bombardement de sa maison à Alep, a rappelé au monde la violence et l’absurdité d’ un conflit débuté il y a cinq ans.
Coupée en deux dès juillet 2012, Alep, capitale économique du nord de la Syrie, subit depuis les assauts simultanés des forces progouvernementales, de leurs alliés russes, chiites libanais et iraniens et des nombreuses factions rebelles présentes du Front Al-Nosra ( devenu depuis « Front Fateh al-Cham ») en passant par les djihadistes de Daesh. Assiégés et inlassablement visés, les civils, les soignants et les responsables humanitaires tentent chaque jour de survivre.
Hôpitaux et centres de soins, des cibles privilégiées
Franck Carrey, médecin fondateur de l’association Medina, n’a pu retourner en Syrie depuis 2013. Grâce à son organisation, une maternité a été créée il y a dix-huit mois dans la banlieue nord-ouest d’Alep, à moins de dix kilomètres de la ville. Dans la nuit du 11 au 12 août, l’établissement et quelques maisons situées à côté ont été bombardés. Deux membres du personnel et une patiente sont décédés et 13 personnes ont été blessées dont 5 enfants.
Si l’insécurité, les difficultés d’approvisionnement en médicaments et les carences en personnels médicaux locaux ont, dès le début du projet, fait partie des difficultés majeures à surmonter, l’arrivée des forces Russes a aggravé la situation : « Les bombardements se sont intensifiés et les structures médicales sont davantage touchées », détaille le docteur Carrey.
Un ciblage devenu quasi-systématique confirme Jean-François Corty, directeur des opérations internationales pour Médecins du Monde : « A Alep, les forces en présence ciblent les lieux de soin, ça fait partie d’une stratégie militaire et les personnels soignants sont régulièrement victimes de meurtre. […] Plus de 60 % des hôpitaux ont été détruits, les centres de santé ne sont plus des lieux de vie mais sont devenus des lieux de mort. Récemment, plusieurs acteurs humanitaires se sont interrogés sur la mise en place d’hôpitaux informels, dans des maisons, des caves. La qualité des soins est moins bonne mais cela évite d’être ciblé par les bombardements ».
Des corridors humanitaires insuffisants
Le 31 juillet, les rebelles et leurs alliés djihadistes du Front Fateh al-Cham (ex-Al-Nosra) ont lancé une offensive d’envergure afin de briser le siège imposé aux secteurs rebelles par les troupes de Bachar al-Assad, notamment à l’est de d’Alep. Une semaine plus tard, Staffan de Mistura, envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie exigeait la mise en place d’une « trêve de 48 heures pour que les convois soient réalisables et efficaces ». Une requête à laquelle la Russie a répondu favorablement ce vendredi 19 août et qui concerne les quartiers est assiégés de la ville et les quartiers tenus par les forces pro-Bachar.
Une solution qui, en l’état, ne convainc pas les acteurs humanitaires. « L’organisation de convoyage alimentaire prend énormément de temps avec les nombreux contrôles et les risques encourus sont immenses », confie Franck Carrey de l’association Medina. Pour Jean-François Corty, cette mesure reste « insuffisante » : « Il faut des trêves plus pérennes que 48 heures pour qu’il y ait un approvisionnement suffisant et pour permettre aux civils qui le souhaitent de quitter Alep et il faut que ces corridors humanitaires soient tenus par des forces neutres comme celles de l’ONU et non par des parties prenantes du conflit, russes ou syriennes. »
Jeudi, les raids du régime se sont poursuivis sur les quartiers Est d’Alep où 146 civils dont 22 enfants ont péri dans les frappes depuis le 31 juillet. 600.000 à 800.000 civils seraient encore victimes de sièges instaurés par les rebelles ou les forces progouvernementales.