DÉCRYPTAGELa Turquie va-t-elle participer à la coalition internationale contre Daesh?

La Turquie va-t-elle participer à la coalition internationale contre Daesh?

DÉCRYPTAGELa Turquie pourrait choisir de s’engager dans la lutte contre le groupe islamiste. Mais les contours de cette participation sont encore flous...
Bérénice Dubuc

Bérénice Dubuc

Après l'avoir longtemps refusé, la Turquie semble prête à participer à la coalition internationale qui lutte militairement contre Daesh en Irak et en Syrie. Le gouvernement islamo-conservateur doit ainsi déposer ce mardi un projet de mandat autorisant l'intervention de son armée en Irak et en Syrie, qui doit être examiné jeudi par le Parlement.

«Point fondamental» de ce revirement, selon Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R): la libération des 49 otages, dont 46 Turcs, enlevés le 10 juin à Moussoul, en Irak. «Tant qu’ils étaient retenus par Daesh, la Turquie était pieds et poings liés. Le moindre mouvement de sa part aurait sans nul doute vu la mort d’un otage après l’autre au fil des jours.» Mais avec leur libération le 20 septembre, le pouvoir turc a désormais le champ libre.

Menaces sécuritaires

Tout du moins, s’il a la volonté politique d’intégrer la coalition. «La Turquie continue d’être hésitante, car une participation la mettrait en première ligne d’éventuelles mesures de représailles de la part de Daesh», note Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po. En effet, alors qu’Ankara a longtemps été tolérante envers la rébellion syrienne pour abattre son «ennemi juré» Bachar al-Assad (ce qui a permis à Daesh de développer cellules, réseaux et centres de recrutement sur son territoire), s’impliquer dans la lutte antidjihadiste serait une sérieuse menace pour sa sécurité.

Le chercheur ajoute que la crainte de voir le facteur kurde gagner en influence au niveau régional, à son détriment, est un autre frein. «Si la coalition continue de renforcer les Kurdes -et notamment le PKK avec qui le gouvernement turc mène actuellement des négociations, ces derniers auront tendance à devenir beaucoup plus exigeants.»

«Il y a à l’heure actuelle de facto un Kurdistan indépendant dans le nord de l’Irak, et les Kurdes sont peut-être à portée d’obtenir l’Etat promis depuis la fin de la Première Guerre mondiale, ce qui inquiète grandement Ankara et pourrait être un frein à sa participation», abonde Alain Rodier, qui note: «Ce serait un événement si l’armée turque se battait contre un ennemi commun aux côtés des Kurdes dans le nord de la Syrie

«Pour le moment on n’a rien vu»

Si le président Erdogan a déclaré dimanche au Forum économique mondial à Istanbul que la Turquie ne pouvait plus «rester en dehors» de la coalition, ajoutant qu'une intervention terrestre pourrait être nécessaire, un déploiement au sol de l’armée est donc peu probable.

«La Turquie semble avoir changé d’avis, mais pour le moment on n’a rien vu», souligne Bayram Balci. Selon lui, la Turquie «ne fera pas grand-chose». Et de préciser: «Elle peut participer plus activement au soutien logistique en autorisant par exemple les avions américains à utiliser la base de l'Otan d'Incirlik pour leurs raids. Mais il ne faut pas croire que la Turquie va envoyer des troupes au sol, ce serait trop dangereux et trop contre-productif pour elle.»

Alain Rodier considère lui aussi plus probable qu’Ankara assure un appui logistique plus important, avec autorisation de survol de son territoire et utilisation de la base d'Incirlik. En échange, les deux spécialistes considèrent qu’elle pourrait demander des «assurances» sur les questions sécuritaires et un appui économique pour la prise en charge des réfugiés syriens. Réponse à partir de jeudi au Parlement.