Expulsion de diplomates russes des Etats-Unis: Quelle est la réalité de l'espionnage russe sur le sol américain?
DIPLOMATIE•Ces diplomates sont soupçonnés par Washington d’être des agents du renseignement russe…Delphine Bancaud
Les Etats-Unis sont-ils sous étroite surveillance des Russes ? C’est en tout cas ce que semble croire Barak Obama qui a décidé l’expulsion de 35 diplomates russes et leurs familles des Etats-Unis. Ces derniers ont quitté le sol américain ce lundi. Ils étaient soupçonnés par Washington d’être des agents du renseignement russe. Par ailleurs, deux complexes résidentiels russes dans le nord-est des Etats-Unis ont été fermés, car considérés comme des bases pour ces espions présumés. Les sanctions visent également directement les services de renseignement russes, le GRU et le FSB, ainsi que des entreprises qui ont fourni « un soutien matériel » aux opérations informatiques du GRU. 20 minutes revient sur les raisons de ces soupçons.
Pourquoi les 35 diplomates russes sont-ils soupçonnés d’espionnage ?
La police fédérale américaine (FBI) et l’Agence centrale de renseignement (CIA) estiment que Moscou a orchestré le piratage informatique du Parti démocrate pendant la campagne présidentielle qui a mené au vol et à la publication de milliers d’emails de responsables démocrates, au détriment de la candidate Hillary Clinton. Réponse du berger à la bergère : Washington a sanctionné Moscou pour son ingérence dans l’élection présidentielle américaine, en expulsant 35 diplomates soupçonnés d’être des agents du renseignement russe.
Une fermeté de la part de Barack Obama qui s’explique « par le besoin de sanctionner la Russie, qui a clairement voulu faire basculer l’élection américaine et déstabiliser le pays », souligne François Durpaire, historien spécialiste des Etats-Unis. « L’administration américaine aurait pu prendre des sanctions contre eux pendant la campagne électorale, car elle avait déjà des soupçons d’une interférence russe à l’automne. Elle ne s’est pas précipitée et a attendu d’avoir des preuves de la CIA et du FBI pour intervenir », poursuit-il. Il n’empêche que pour Dominique Colas, professeur à Sciences Po et spécialiste de la Russie : « ces expulsions ont un aspect symbolique, car il n’est pas du tout certain que les espions russes les plus redoutables fassent partie du lot des expulsés ».
Quelle est la réalité de l’espionnage russe sur le sol américain à l’heure actuelle ?
Selon, le New York Post qui a interrogé un ancien agent du renseignement ayant travaillé à la fois pour la CIA et le KGB, les espions russes étaient plus de mille sur le sol américain en 2010. Une information impossible à vérifier pour Dominique Colas : « Il est difficile d’évaluer l’intensité de l’espionnage russe. Une chose est sûre : les Russes effectuent du renseignement politique, tentent de découvrir des secrets militaires, font de l’espionnage industriel ou technologique et ont des agents chargés d’influencer les décideurs », souligne-t-il. Mais d’après Philippe Migault, spécialiste de la Russie, « la force de frappe actuelle des services de renseignement russes est très inférieure à celle des services secrets soviétiques, car leurs moyens sont beaucoup plus limités. Et s’il existe bel et bien des espions russes dans les pays où Moscou a des intérêts, ils sont bien moins actifs que ceux d’autres puissances comme la Chine, les Etats-Unis ou Israël », assure-t-il.
Reste que selon François Durpaire, « les Etats-Unis ont sous-estimé ces dernières années la volonté de Poutine de continuer sa partie d’échecs avec eux et son penchant impérialiste. Ils ne se sont sans doute pas suffisamment protégés suffisamment contre les risques d’espionnage ou de piratage », indique l’historien. « D’autant que les Russes sont de très bons techniciens pour effectuer des intrusions dans les systèmes informatiques », souligne Dominique Colas.
Quel est le profil des espions russes ?
Beaucoup de personnes soupçonnées d’espionnage travaillent dans les ambassades et consulats russes. « Mais il existe aussi des agents dormants que l’on active uniquement en cas de besoin. Ces derniers vivent dans le pays qu’ils espionnent en occupant un métier lambda », indique Philippe Migault. « Ces agents, qui ont été dépeints dans la série The Americans, doivent se fondre dans le paysage », complète Dominique Colas. Une tradition qui ne date pas d’hier selon lui : « Après la révolution russe de 1917, des espions russes étaient envoyés parmi les flots de migrants et devaient devenir invisibles en attendant qu’on les "réveille" en cas de besoin », poursuit-il.
Plus récemment en 2010, les Etats-Unis ont expulsé dix présumés agents d’une cellule dormante russe, dont faisait partie Anna Chapman, qui gravitait dans la haute société de Manhattan sous couvert de ses activités d’agent immobilier. Le réseau avait pour mission d’infiltrer les milieux politiques.
Les expulsions d’officiels russes vont-elles contraindre la Russie à limiter son espionnage des Etats-Unis ?
« On est bien loin du coup de balai de l’affaire Farewell en 1983. Lors de celui-ci, la France avait expulsé quarante-sept diplomates à la suite des opérations d’espionnage soviétiques de grande ampleur dans les domaines scientifique et technique. La démarche d’Obama vise surtout pour lui à marquer l’histoire diplomatique entre les deux pays », estime Philippe Migault. Un avis partagé par Dominique Colas : « Barack Obama signe la fin du mandat en montrant sa vigilance à l’égard de la Russie et veut prouver qu’une partie du Congrès est derrière lui sur ce point. Cela dit, cela n’aura pas d’impact sur les pratiques d’espionnage, qui sont devenues routinières », estime-t-il.