Sur les traces de Gérard Depardieu en Russie
REPORTAGE•«20 Minutes» s'est rendu à Saransk, ville où Gérard Depardieu est officiellement installé, d'après son passeport russe, pour savoir ce que pensent les habitants de la ville de ce nouveau venu...Maud Pierron, à Saransk
De notre envoyée spéciale à Saransk (Russie)
Il suffit d’emprunter la très large rue Bolchévique, puis de prendre la rue Soviétique, à droite, et nous y voilà, rue de la Démocratie. Au n°1, chez Gérard Depardieu! La nouvelle adresse du millionnaire est un bâtiment quelconque, éloigné des standards européens du luxe. Pas un chat dans la rue, de vieilles Lada, beaucoup de 4x4 et des murs de neige noircie par les pots d’échappement. Mais l’immeuble à la porte de fer rongée par le froid et la neige, accueille en fait les élites de la ville de Saransk, 300.000 habitants, capitale de la république de Mordovie, 630km au sud-est de Moscou. Une ville proprette aux larges artères, une République tristement réputée pour ses camps de travail, le refuge d’un Depardieu fuyant les impôts du gouvernement socialiste.
«Un sex-symbol exotique»
Il n’est pas là, évidemment. Après son accueil triomphal du 23 février, où il a reçu très officiellement son enregistrement à Saransk, il est parti pour la Tchétchénie et à présent, lui seul sait où il se trouve. Depardieu à Saransk, c’est un peu «WTF». Pour les Français mais aussi pour les Russes. «Tous mes proches m’ont appelée quand ils ont appris la nouvelle. Pour nous c’est extraordinaire, un choc car personne de connu ne vient ici», explique Anya, à deux pas de la rue de la Démocratie. «On sait qu’il aime la Russie, peut-être veut-il la visiter jusque dans ses régions», hasarde-t-elle sur les raisons de sa récente installation. En fait, la jeune femme pense plutôt que «c’est politique», comme tout en Russie. «Quelqu’un à Moscou a dû penser que c’était important qu’il s’installe à Saransk, et voilà.» Sa copine Dacha, fourrure noire des pieds à la tête, s’emballe: «Il est exotique. Ma mère l’adore, elle connaît toute sa filmographie, elle a même peint des portraits de lui plus jeune quand il était un sex-symbol. Son rêve, c’est de le rencontrer.» Plus accessible, maintenant qu’il est citoyen mordove même si personne ne l’a jamais croisé.
>> Voir ici le diaporama sur la nouvelle vie de Depardieu à Saransk
Celui qui a interprété Raspoutine à l’écran jouit d’une popularité monstre dans le pays-continent. Tout le monde le connaît, au moins de nom. «Il y a trois grands acteurs français: Alain Delon, Gérard Depardieu et Pierre Richard», liste Mikhaïl, l’un des assistants du maire de Saransk. «C’est donc un honneur qu’il soit ici.» «Diépardié?» Les yeux bleus de Yulia, élégante babouchka, s’illuminent à l’évocation du Français. Malgré la neige qui tombe, elle ne tarit pas d’éloge sur cet homme «sage et intelligent» qui «aime la Russie, la culture mordove et dit qu’il va apprendre le Russe». Et puis, s’enthousiasme-t-elle, «il va apporter un peu de culture française et jouer un film ici. Je suis vraiment très fière qu’il soit venu à Saransk. Ainsi, il a pu découvrir que nous sommes très chaleureux.» Et heureusement, vu les températures glaciales.
La Tchétchénie et «le traitement de faveur»
Il fait nettement plus chaud dans le grand «mall» Rio du centre-ville où le samedi, là comme ailleurs, les jeunes se retrouvent et les familles papillonnent en regardant les téléphones derniers cris hors de prix. Mèche collée sur le front comme c’est la mode ici, Youri, la vingtaine, juge que l’arrivée de Depardieu «sera très positive pour la région. Et s’il ouvre un nouveau restaurant à Saransk, ce sera un nouveau lieu où sortir pour les jeunes». Un peu d’animation pour réveiller cette ville très calme en somme, comme lorsque le centre commercial a ouvert à l’automne 2012 et que des danseuses brésiliennes courtes-vêtues étaient venues se déhancher pour l’inauguration.
Mais pour d’autres, Depardieu à Saransk, c’est «un non événement». «Il est venu et alors? Si un acteur russe s’installait en France, ce serait important? Les gens ont pas mal de problèmes ici. C’est là-dessus qu’ils sont concentrés», assène Evguenia, vendeuse dans un fast-food local. Et lorsqu’on gratte un peu, «le traitement de faveur» reçu par l’acteur irrite dans un pays où les retraités doivent travailler en raison du niveau peu élevé de leur pension. C’est le cas d’Olga, qui distribue des prospectus dans la rue. «Il arrive ici, et immédiatement on lui donne un appartement [il est en fait logé chez un ami, Ndlr] alors que beaucoup de gens n’ont pas les moyens d’acheter. Il a aussi reçu un logement à Grozny, ça ne lui suffit pas?»
C’est peut-être le faux pas de la dernière escapade russe de Depardieu car, après Saransk où il n’est resté que deux jours au lieu de quatre, il a été reçu en grande pompe en Tchétchénie, par l’autocrate Kadyrov. «Il est allé à Grozny, chez des gens qui tuent des gens, pour recevoir un appartement de cinq pièces, ce n’est pas bien», lâche Nikita, vendeur de téléphones.
Depardieu vs les Pussy Riots
Pour le maire de Saransk, Petr Tultaev, Depardieu c’est surtout une «grande chance» car il a permis de «placer sur une carte» sa ville (lire l’interview exclusive par ici). Mikhaïl, son assistant, espère que sa venue pourrait aussi «changer l’image» de Saransk. Car si pour les Français, la Mordovie n’évoque d’emblée pas grand-chose si ce n’est un pays imaginaire visité par Tintin; pour les Russes, la Mordovie c’est la région où se concentrent une vingtaine de camps de travail. Dont l’une des détenues les plus célèbres est membre des Pussy Riot.
«Tout le monde ne parle que des camps et c’est réducteur. Notre région se développe mais cette image nous porte préjudice au niveau des investissements et Depardieu peut changer cela», nous explique-t-il tout en faisant une visite guidée de la ville. De sa cathédrale aux nombreux bulbes dorés, à la place Soviétique où trone l’imposant et très massif palais de la République -faucille et marteau au fronton- jusqu’au théâtre national où s’est déroulée la cérémonie d’enregistrement de Depardieu. Il y a aussi beaucoup de chantiers -dont un futur centre d’affaires censé ressembler au Colisée de Rome lorsqu’il sera achevé- dont certains sont à l’arrêt faute de financement.
«Restez à la maison Monsieur Depardieu»
Pour les autorités, Depardieu, présenté comme un homme d’affaires dans la presse locale, apparaît comme un messie, un super ambassadeur aux multiples pouvoirs. L’acteur a annoncé qu’il allait ouvrir un restaurant et peut-être une boulangerie. Promis des échanges culturels, notamment dans le théâtre, de faire la publicité à l’international de la ville, retenue pour le Mondial de foot 2018, mais aussi d’aider les clubs de foot locaux, notamment les féminines. D’où le tapis rouge qui lui a été déroulé en fanfare (locale et costumée). Et la promesse que l’acteur ne paiera pas de taxes à Saransk car «ici, la culture passe avant les impôts», plastronne le maire.
Un spectacle ridicule, juge un cadre local «en colère». «Je respectais Depardieu mais après ses visites, je ne peux plus le considérer comme une personne sérieuse. Tout semblait être de la comédie, comme dans le Revizor de Gogol, où une personnalité importante arrive dans une ville provinciale et est reçue avec tous les honneurs. A la fin, il n’y a que de la déception pour les locaux qui sont tournés en dérision. C’est la même chose dans notre ville», tranche-t-il, sous couvert d’anonymat. «Tout le monde comprend que Gérard Depardieu est venu à Saransk accidentellement, après avoir fait la fête à Sotchi pour fêter son passeport russe! Devions-nous vraiment le recevoir avec tant de faste?» s’interroge-t-il. Et alors que l’acteur a reçu la nationalité russe rapidement, une jeune réfugiée afghane, qui s’est convertie à la religion orthodoxe va être expulsée et risque la lapidation, explique-t-il. «N’est-ce pas triste, Monsieur Depardieu? interpelle-t-il. Restez à la maison Monsieur Depardieu, aidez votre pays en crise.»