Espagne: Qui sont les «Indignados»?
MONDE•Depuis plus d'une semaine, ils occupent les principales places des grandes villes espagnoles, «indignés» par la gestion de la crise économique par le gouvernement...Corentin Chauvel avec Reuters
Après le printemps arabe, le printemps espagnol? Depuis le 15 mai, des milliers de Madrilènes occupent la Puerta del Sol, grande place de la capitale, rebaptisée «Plaza de la Solidaridad» («Place de la Solidarité»), afin de protester contre le chômage et les mesures d'austérité du gouvernement Zapatero.
Malgré l’interdiction de manifester avant des élections locales, ils étaient près de 30.000 samedi soir, veille d’une sévère défaite aux Municipales pour le PSOE du Premier ministre espagnol. Des manifestants étaient aussi rassemblés à Barcelone, Valence, Séville, Bilbao et ailleurs.
Jeunes et moins jeunes, actifs, chômeurs et retraités
Parmi ces «Indignados» («Indignés»), des Espagnols de tous âges, y compris des familles avec de jeunes enfants ou encore des retraités, même si ce sont des jeunes, parmi lesquels des étudiants et des chômeurs, qui sont à l’origine d’un mouvement que Jean Chalvidant, spécialiste de l’Espagne au MCC (département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines de l’Institut de criminologie/Université Paris II Panthéon-Assas), qualifie d’«inhabituel». «C’est la première fois que je vois autant de monde dans la rue depuis la mort de Franco», ajoute-t-il, interrogé par 20Minutes.
Mais s’ils expriment une frustration accumulée sous l’effet d’un malaise économique constant, les Indignados ne se positionnent pas non plus en faveur du Parti Populaire (opposition de droite) qu’ils boycottent autant que le PSOE. Jean Chalvidant, qui a assisté à leur manifestation à Madrid, les classent dans un mouvement de gauche altermondialiste et pacifiste, malgré leur volonté d’être apolitiques et citoyens.
«Ce n’est pas une génération spontanée, ils sont relativement organisés, par le biais des réseaux sociaux, mais pas velléitaires», précise le chercheur qui loue leur collectif. Les organisateurs tentent ainsi de maintenir la place dans un état convenable avec les balais apportés par les manifestants. Jusqu'à présent, il n'y a eu aucune violence dans les rassemblements mais certains s'inquiètent que la vente d'alcool ne nuise à cette ambiance pacifique. «Ceci est une révolution, pas une beuverie», indiquent des pancartes, les jeunes Espagnols étant friands des «botellon», qui consistent à boire les soirs d'été dans les parcs.
«Un mouvement de type mai 68, sans les débordements»
«C’est un mouvement de type mai 68, sans les débordements», ajoute Jean Chalvidant, qui reste cependant «circonspect par le manque de cohérence et sur le but» des manifestants. Selon le chercheur, il ne faut toutefois pas faire l’«amalgame» avec les révolutions arabes car il ne s’agit pas ici «de foutre en l’air les institutions espagnoles», mais bien d’exprimer un «ras-le-bol des difficultés pour acquérir le moindre bien».
«Si les élections nous ressortent le même scénario et toujours les mêmes messages, j’ai le sentiment que le mouvement va s’intensifier. Mais en ce qui concerne ces mouvements de société, personne ne possède le pouvoir de prédire ce qu’il adviendra», a indiqué à Owni Enrique Dans, professeur des systèmes de l’information à la IE Business School et blogueur reconnu en Espagne. «La seule certitude est que l’Espagne a déjà sa révolution», conclut-il, tandis que les «Indignados» sont repartis pour une nouvelle semaine d’occupation de l’espace public.