Histoires de grandes découvertes: La périlleuse expédition de Dumont d’Urville en Antarctique
SERIES D’ETE (1/4)•« 20 Minutes » a fait un tour aux archives et vous plonge dans le grand voyage de «l’Astrolabe» vers l’Antarctique…Nicolas Raffin
L'essentiel
- Durant l’été, 20 Minutes, en partenariat avec Retronews, consacre une série d’articles aux grandes découvertes et aux grands voyages.
- Aujourd’hui, la découverte de la terre-Adélie par Dumont d’Urville.
Tout l’été, 20 Minutes revient sur quelques grandes découvertes, en partenariat avec Retronews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Aujourd’hui, le grand voyage de l’Astrolabe vers l’Antarctique…
Le 7 septembre 1837, la corvette l’Astrolabe quitte le port de Toulon (Var), suivi par un autre navire, la Zélée, qui assure son ravitaillement. L’expédition part explorer la région de l’Antarctique, encore très mal connue au XIXe siècle – les journaux de l’époque évoquent les « régions australes ». A sa tête, l’expérimenté Jules Dumont d’Urville. « Cet intrépide navigateur dépassera cette fois les limites du monde connu » s’enthousiasme Le Siècle avant son départ.
La France, alors gouvernée par Louis-Philippe, finance le voyage. La lourde dépense n’est pas au goût de tout le monde. Dans Le Constitutionnel du 16 juillet 1837, le député François Arago lance une lourde charge contre Dumont d’Urville. Il lui reproche d’abord son peu de rigueur scientifique lors d’expéditions précédentes : « Plus j’avançais dans mon examen, et puis il me semblait (…) que le commandant de l’Astrolabe avait voyagé pendant trois ans, les yeux et les oreilles bouchés ». Puis il prédit l’échec de la mission : « Je maintiendrai (…) que la campagne de ces deux navires est mal conçue, qu’elle ne produira (…) que d’insignifiants résultats ».
Les premières glaces
Malgré ces vents contraires, l’Astrolabe et la Zélée entament leur long périple. Après une escale à Rio de Janeiro mi-novembre, puis un arrêt en Patagonie en décembre, Dumont d’Urville met le cap vers l’Antarctique. « Le 15 janvier [1838], nous eûmes la première vue des montagnes de glace » raconte le navigateur dans une lettre adressée au ministre de la Marine et publiée par Le Constitutionnel.
Dans un témoignage cité par le Journal des débats politiques et littéraires, un lieutenant faisant partie de l’expédition se montre beaucoup plus lyrique : « Toutes ces masses de cristal se présentaient à nos yeux enchantés sous la forme de palais aux splendides portiques, de citadelles, de dômes, ou d’obélisques aux flèches élancées ».
L’angoisse monte
Mais la beauté des paysages glacés est piégeuse. Alors que Dumont d’Urville cherche à pousser toujours plus au sud, il se retrouve bloqué par la banquise début février. « Tous nos efforts (…) au travers de mille dangers et de mille fatigues n’aboutirent qu’à nous placer au milieu de glaces tellement resserrées, que les deux corvettes ne pouvaient plus faire aucun mouvement » poursuit-il dans sa lettre.
Le 9 février, après plusieurs jours d’angoisse, les équipages profitent d’un vent favorable pour s’extraire du piège. A coup de pioche, les marins se frayent un passage vers la liberté. « Après neuf heures de labeur et de fatigue (…) les deux corvettes flottaient enfin sur une mer liquide » se réjouit l’officier.
Le scorbut frappe
L’expédition remonte ensuite le long des côtes d’Amérique du Sud pour faire escale, en avril, dans la baie de Concepcion (Chili). Cette pause dans un voyage démarré depuis huit mois est la bienvenue, car le scorbut n’épargne pas les matelots. La maladie, typique des longs voyages en mer, est due à une carence en vitamine C causée par l’absence de fruits et de légumes verts à bord. Les sujets atteints ont de la fièvre, mais aussi des hémorragies multiples, notamment au niveau des gencives. « A bord de la Zélée, quarante hommes gémissaient sous l’atteinte du mal, écrit Dumont d’Urville. L’Astrolabe (…) comptait quinze hommes plus ou moins gravement attaqués ». Au moins deux d’entre eux succomberont.
L’épopée est pourtant loin d’être finie. Les deux navires reprennent la mer en mai 1838, direction l’Océanie. Après plusieurs haltes à Tahiti, aux Philippines, ou encore dans les Indes néerlandaises (future Indonésie), l’expédition met à nouveau le cap sur l’Antarctique en janvier 1840.
La terre, enfin
« Malgré les fatigues, les dangers et le terrible fléau qui accompagnèrent ma première tentative, j’ai pris sur moi d’en hasarder une seconde » relate Dumont d’Urville dans un courrier au gouvernement publié par Le Moniteur Universel. Son audace paie : le 19 janvier, l’Antarctique est enfin en vue : « Je fus convaincu que la terre était sous mes yeux, et il ne s’agissait plus que de nous en rapprocher suffisamment » écrit le navigateur.
C’est chose faite le 21 janvier 1840, lorsque deux canots envoyés en reconnaissance rapportent des « cailloux arrachées à la roche vive ». Pour Dumont D’Urville, il n’y a plus de doute. Reste à baptiser ce nouveau territoire. « J’annonçai aux officiers rassemblés en présence de l’équipage que cette terre porterait désormais le nom de terre Adélie [le prénom de son épouse]. Cette désignation est destinée à perpétuer le souvenir de ma profonde reconnaissance pour la compagne dévouée qui a su par trois fois consentir à une séparation longue et douloureuse ».
La mission est accomplie. Après trois ans d’aventures, l’expédition arrive à Toulon en novembre 1840. De cette épopée subsistent aujourd’hui quelques souvenirs. Ainsi, la Terre-Adélie n’a pas changé de nom. Elle accueille même une base scientifique nommée… « Dumont d’Urville ». Quant à l’Astrolabe, c’est un brise-glace, en service jusqu’en 2017 dans l’Antarctique, qui a hérité de son fameux nom.