Cap Canaveral, un espace de haute sécurité
ETATS-UNIS – Reportage exclusif sur le site de la Nasa, en Floride, d'où a décollé jeudi le Français Léopold Eyharts...Envoyée spéciale à Cap Canaveral (Floride), Laure de Charette
Jeter son chewing-gum. Laisser les chiens renifler (et baver) sur le sac à main. Renoncer aux photos du garde-barrière, même de dos. Mettre des chaussures fermées. Voilà les conditions sine qua non - en plus des deux badges autour du cou, et des empreintes digitales laissées à Paris - pour espérer mettre un pied dans les entrailles de la Nasa (National Aeronautics and Space Administration), près de Cap Canaveral, en Floride. Pénétrer sur la terre des conquérants de l'espace exige patience, discipline et un brin d'humour, surtout à la veille du lancement de la navette Atlantis avec sept hommes à son bord (dont le Français Léopold Eyharts).
Tracy Young, en charge des relations avec les médias à la Nasa, le confirme, sans s'étendre: «Depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, les mesures de sécurité ont été renforcées.» Il est vrai que le site, qui s'étale sur près de 25 kilomètres, est hautement sensible. C'est ici que sont acheminés du monde entier les modules qui partiront vers la Station spatiale internationale, ici que les spationautes passent leur dernière soirée sur terre, à la «Beach House» (maison sur la plage) avec leur épouse. Ici aussi que le Pentagone poursuit secrètement ses «black programs» (programmes confidentiels), notamment en matière d'armement spatial.
«Un bastion soviétique»
Sur la base, finalement, seuls les huit mille alligators peuvent lézarder sous le soleil le long des canaux, seuls les vautours, aigles et sangliers peuvent errer sur les routes désertes ou près de la mer - les côtes qui bordent le périmètre de la Nasa sont classées Parc national. Gare aux ornithologues en herbe : on raconte qu'un homme s'est fait sortir manu militari du site pour être descendu de voiture afin de photographier un nid d'aigle... Plus de risque: depuis quatre ans, les véhicules personnels sont interdits, y compris pour les professionnels de l'Agence spatiale européenne (ESA). On ne circule plus qu'en bus couleur bleu espace affrété par la Nasa. Cette absence de liberté de mouvement ajoutée à la suspicion permanente confinent à la paranoïa. «C'est devenu un vrai bastion soviétique», murmurent certains journalistes.
Le fusil d'assaut à la main
Depuis trois ans, une unité spéciale se déploie ostensiblement au moment du «roll-out», les derniers pas sur terre des spationautes. Son nom: Swat, Special Weapons And Tactics. Fusil d'assaut à la main, les hommes - ils sont vingt-neuf en tout - ont l'air de s'assurer, le doigt sur la gâchette, que les petits princes des étoiles, en combinaison de vol orange feu, grimpent sans danger dans le bus gris qui les mènent au pas de tir. Leur véhicule est impressionnant: un 4 x 4 de cinq mètres de long, noir, blindé, troué de micro-hublots. Le fou qui amorcerait un geste menaçant serait maîtrisé dans la seconde. «Shot» (abattu), glisse le chauffeur de bus. Outre cette nouvelle mission, les agents de la Swat patrouillent nuit et jour sur le site, 7 jours sur 7, depuis 1979. Cette sécurité-là est légitime. Ce qui l'est sans doute moins, c'est la succession de rappels à l'ordre, fermes mais polis, proférés par l'accompagnateur, les reniflements canins à répétition et les badges, numéros, listes obligatoires.
Un «guard» s'approche. Il veut blaguer. C'est l'occasion de lui demander: «Combien de personnes, sur les 14.000 qui travaillent ici, sont dédiées à la sécurité des lieux?» Il ôte ses lunettes de soleil. Silence. «Vous feriez mieux de ne pas poser ce type de questions», répond-il, soudain glacial. La curiosité aussi est contrôlée.