Venezuela: Trois questions pour comprendre la crise qui secoue le pays
AMERIQUE LATINE•Les violences pendant les manifestations pro et anti-gouvernementales ont fait plusieurs morts…Nicolas Raffin
L'essentiel
- La crise actuelle est à la fois politique, économique et sociale
- Le président Nicolas Maduro et l’opposition sont engagés dans un bras de fer institutionnel depuis des années
Le Venezuela est plongé dans une crise profonde. Depuis plusieurs semaines, ce pays d’Amérique du Sud est déchiré entre deux camps. D’un côté, les fidèles du président Nicolas Maduro, héritier d’Hugo Chavez et de son « chavisme » ; de l’autre, une opposition hétéroclite mais qui fait front commun pour demander des élections anticipées. Mercredi, alors que des centaines de milliers d’opposants défilaient dans plusieurs villes du pays (voir vidéo ci-dessous), deux manifestants ont été tués par des hommes cagoulés. Un militaire a également trouvé la mort lors d’affrontements.
A l’origine des tensions : la décision du Tribunal suprême de Justice (TSJ), pro-Maduro, de priver brièvement l’Assemblée de ses pouvoirs début avril, avant de faire machine arrière. S’ajoute à cela la décision de priver de ses droits politiques Henrique Capriles, le leader de l’opposition, qui ne pourra donc pas se présenter à la présidentielle de 2018. Mais la crise n’est pas nouvelle. 20 Minutes fait le point pour vous aider à y voir plus clair.
Pourquoi une telle opposition à Nicolas Maduro aujourd’hui ?
« Il faut remonter à la racine des choses », explique Christophe Ventura, chercheur à l’Iris et spécialiste de l’Amérique Latine. Tout d’abord, « une partie de la société vénézuélienne n’a jamais accepté le chavisme. En quelques années, ce pays a vécu un coup d’Etat avorté [2002] et un référendum visant à faire partir Chavez [2004] qui a échoué. »
Les tensions reprennent après la mort d’Hugo Chavez en 2013. « L’effondrement des cours du pétrole [à partir de 2014] a miné les exportations du pays », rappelle le chercheur. « Il y a eu une réduction des investissements dans l’industrie pétrolière à partir de 2004, souligne Frédérique Langue, directrice de recherche au CNRS- Institut d’Histoire du temps présent. Aujourd’hui, le Venezuela ne peut plus s’appuyer sur cette manne qui a fait le succès des gouvernements précédents, et qui permettait d’avoir des missions sociales, alimentaires, de donner de l’argent aux pauvres ».
Une dépendance extrême qui fait que le pays se retrouve plongé dans une grave crise économique, avec une pénurie de certains produits de base. La conjonction de ces deux crises, économique et politique, explique la situation tendue d’aujourd’hui.
Qui est responsable des tensions dans le pays ?
« Il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants prévient Christophe Ventura. » Les partisans du président et ses adversaires se rendent en effet coup pour coup. « En 2014, l’opposition n’a pas reconnu la victoire [avec 50,7 % des voix] de Maduro et a appelé à une forme d’insurrection », explique le spécialiste. Pour Frédérique Langue, « la responsabilité du gouvernement dans la crise est évidente. Mais la faute vient aussi de l’opposition qui n’avait pas pris conscience de ce qu’elle avait en face d’elle ».
En 2015, l’opposition gagne la majorité à l’Assemblée, mais le président refuse de reconnaître sa légitimité. Enfin, avant les événements de 2017, l’exécutif a bloqué fin octobre 2016 l’organisation d’un référendum qui devait écourter le mandat du président.
Nicolas Maduro a-t-il encore des soutiens ?
« Aujourd’hui, ce qu’on appelle le chavisme reste une composante sociologique très forte dans le pays, en particulier au sein des classes populaires », souligne Christophe Ventura. De fait, une contre-manifestation pour soutenir Nicolas Maduro s’est déroulée mercredi à Caracas, en même temps que les rassemblements des opposants. Mais Frédérique Langue nuance : « Maduro ne peut plus compter que sur une infime minorité du secteur populaire qui a appuyé Chavez, car les classes populaires souffrent énormément de la crise aujourd’hui. Il y a aussi la répression : des centaines d’arrestations, des violences policières. On ne peut plus parler d’un régime démocratique ».
Au niveau mondial, les pays se divisent. L’Union Européenne a sobrement appelé ce jeudi à « trouver des solutions démocratiques », tout comme les pays d’Amérique du Sud. En revanche, la Russie et la Chine soutiennent Nicolas Maduro. « La Chine possède énormément d’investissements au Venezuela » rappelle Frédérique Langue.