Décret anti-immigration de Trump: Steve Bannon ou l'instrumentalisation du chaos
ETATS-UNIS•Le texte présidentiel inquiète de nombreux observateurs...Philippe Berry
Une ministre de la Justice par intérim virée, le Congrès court-circuité, une indignation quasi-mondiale, une confusion juridique totale et surtout des dizaines de milliers de ressortissants de pays majoritairement musulmans affectés : le décret anti-immigration signé par Donald Trump provoque un séisme politique dont les répliques n’ont pas fini de se faire sentir.
Mis en place par des « amateurs »
Selon le New York Times, le décret est principalement l’œuvre de Steve Bannon, le conseiller nationaliste controversé que Donald Trump a installé à la Maison Blanche. Dans une enquête sur les coulisses du feuilleton, Politico affirme que l’entourage de Trump a « court-circuité » les leaders républicains du Congrès. Le décret aurait été rédigé en secret par des attachés parlementaires qui auraient été forcés de signer un accord de confidentialité. Le président de la Chambre, Paul Ryan, le leader du Sénat, Mitch McConnell, auraient découvert la version définitive du décret lors de sa publication dans les médias.
Le commentateur conservateur Joe Scarborough accuse même Trump d’avoir « trahi » ses candidats pour les postes de ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Rex Tillerson et John Mattis, en les laissant en dehors de la boucle. Du coup, le décret présidentiel semble ne pas avoir été vérifié par les services habituellement concernés, ce qui a conduit à la grande confusion du week-end, avec des résidents permanents titulaires de cartes vertes bloqués à leur arrivée. Le département à la Sécurité intérieure a d’abord affirmé qu’ils étaient concernés par le texte avant que la Maison Blanche, sous l’influence de Steve Bannon, toujours selon le Times, ne dise l’inverse. Dans un édito, le commentateur conservateur David Brooks attaque un décret « bourré d’erreurs » mis en place « par des amateurs ».
Un décret « malveillant et inefficace »
Si Brooks attaque surtout « l’incompétence » du gouvernement Trump, d’autres observateurs ont des doutes. D’habitude très mesuré, le juriste Benjamin Wittes, éditeur en chef du blog Lawfare, dénonce « la malveillance » du décret. Il estime que le texte est à la fois « bien trop vaste » (il bloque à 99,99 % des réfugiés et des ressortissants qui ne sont pas des terroristes) et « inefficace » (il n’aurait pas empêché les attaques terroristes récentes, à commencer par le 11-Septembre). Ses accusations sont très lourdes : selon lui, « le document ne va pas provoquer la misère et le malheur à cause d’un impact collatéral pour défendre l’intérêt du plus grand nombre. Il va provoquer la misère et le malheur car c’est exactement son but ».
Bannon, un « léniniste » qui veut « détruire les élites »
Alors que le hashtag #PresidentBannon commence à faire son chemin sur Twitter, le professeur de géopolitique Daniel Drezner note que le conseiller de Donald Trump, qui a fait de Breitbart News la vitrine publique de l’ultra-droite américaine, est réputé pour son « extrême intelligence ». Pourquoi alors, aurait-il accouché d’un décret « mal fagoté ? » The Daily Beast renvoie à une citation de l’intéressé de 2013: « Je suis un Léniniste. Lénine voulait détruire l’Etat, et c’est également mon but. Je veux que tout s’écroule et détruise les élites » de Washington. En 2010, dans une émission de radio, il avait également tenu des propos islamophobes, affirmant: «L'islam n'est pas une religion de paix, c'est une religion de soumission. »
Bannon, à qui l’on doit la vision populiste « America First » de Trump, murmure désormais à l'oreille du président et milite pour la stratégie « choc et effroi », résume Politico. Karl Rove, le conseiller de George W. Bush avait fait de la peur son arme principale. Steve Bannon, lui, semble avoir choisi le chaos, pour mieux permettre à Donald Trump de se poser en président « de l’ordre et de la loi », comme il l’avait promis lors de sa campagne. Bannon, promu ce week-end comme membre permanent du Conseil à la sécurité nationale de la Maison Blanche, l’a lui-même expliqué dans une interview, en novembre dernier : « Les ténèbres, ça a du bon. Dick Cheney (le vice-président de George W. Bush), Dark Vador, Satan, ça, c’est le pouvoir. »