Liban: Deux lycéens découvrent, «avec leurs yeux d'ado», la crise syrienne en direct
REPORTAGE•L'Agence française de développement a emmené deux lycéens au Liban pour qu'ils découvrent la crise syrienne par eux-mêmes. «20 Minutes» les a accompagnés...Vincent Vanthighem
De notre envoyé spécial au Liban, Vincent Vantighem
L’Airbus A330 de la n’a pas quitté le tarmac de Roissy qu’il a déjà fait le tour du monde via . Ce jour-là, ce lycéen de tient à faire savoir qu’il part au . C’est qu’il est suivi. Avec sa camarade Chloé, il a été sélectionné par pour découvrir la au plus près, « avec leurs yeux d’ado », dans le cadre du de Bayeux.
a« C’est génial d’être là !, lâche-t-il sans parvenir à dévisser le sourire de son visage encore poupin. Même si le Liban, ce n’est pas vraiment une destination de vacances… » Non. Ce pays nécessite même une certaine préparation avant d’y poser les valises. Mais personne n’a jugé utile de les briefer sur la situation avant le décollage. Et cela se voit dès le lendemain matin, dans la , quand ils demandent, candides, à l’ambassadeur de France à quoi il sert « exactement »…
« Comme s’il y avait 15 à 20 millions de réfugiés en France »
Emmanuel Bonne se prête au jeu et détaille la situation. « Le Liban compte près de 4 millions d’habitants. Et depuis le début de la guerre, il a accueilli environ 1,3 millions de réfugiés syriens. C’est comme s’il y avait 15 à 20 millions de réfugiés en France… » La phrase claque. Benoît donne un coup de coude à Chloé pour qu’elle la note scrupuleusement sur son grand cahier à spirales.
Ils se rendent en fin de matinée dans . A l’extrême limite de la zone « vivement déconseillée » par le ministère des Affaires étrangères. Dans le petit centre de soins géré par , Sana ajuste son fichu bleu et jaune avant de se livrer. La maman de six enfants raconte le départ de Damas, … « Comment vous arrivez à garder le sourire ? », l’interroge Benoît. « Je ne vais pas attendre le corbillard en pleurant, répond-elle. Mes enfants sont assez tristes pour toute la famille. »
Falafels, gros 4X4 et immeubles vérolés par la guerre
Intéressée par le métier d’ethnologue, Chloé, elle, parle peu. Mais observe tout. A commencer par Salah Sabraoui, le vice-maire de Tyr, assis dans un coin du centre. « Notre ville n’arrive plus à gérer l’afflux de réfugiés. On va vers une catastrophe. Les Syriens vont finir par tuer pour pouvoir manger », assène-t-il. Sur le vieux port de Tyr, quelques heures plus tard, la jeune fille en terminale L relit ses notes, interdite. « Je découvre tout ça. Je n’avais pas d’idées reçues. Il me faut du temps pour digérer… »
Il faut dire que le cours d’histoire se déroule, version accélérée, sous leurs yeux ronds. Et qu’à 18 ans, on s’arrête autant sur les falafels à la viande, les gros 4X4 Cadillac que sur. « Honnêtement, je ne savais pas que des gens pouvaient vivre dans ce genre de logements », avoue Chloé.
L’avantage, c’est qu’il n’en faut pas plus, non plus, pour éveiller une conscience politique. « Dans mon lycée, j’ai deux ou trois amis un peu racistes. Ils se surnomment les FN pour ‘’Fiers d’être Normands’’, lâche Benoît qui se destine, lui, au métier de chauffeur routier. Et bien, j’aurais quelques trucs à leur dire à mon retour… »
Douze m² pour sept. Une télé, deux matelas, un miroir fendu
Racistes, les Libanais le sont sans doute un peu vis-à-vis des réfugiés. Rancuniers surtout. . Les réfugiés d’aujourd’hui non plus. Si comme dans tous les coins de la Terre, les enfants s’amusent, dans la rue, à sauter dans les flaques d’eau, leurs parents font, eux, profil bas.
« Je dis à ma fille de ne pas faire de bruit pour ne pas déranger les Libanais », raconte Leïla, originaire de la frontière irako-syrienne. Comment le pourrait-elle ? Dans le quartier de Bourj Hammoud, à l’est de Beyrouth, leur immeuble éventré n’abrite que des Syriens, de toute façon… Leïla et sa famille ont récupéré un réduit au dernier étage. Douze m² pour sept. Deux matelas, une télé et un miroir fendu. « Je suis inquiet, reconnaît Ayssan, le papa de 39 ans. Le loyer est de 350 dollars. La Croix rouge m’a dit que je devais être opéré des reins. Mais nous n’avons pas assez d’argent. »
Benoît l’interrompt presque et se retourne vers qui fait office de traducteur. « Peux-tu leur dire que je vais rentrer en France et que je vais témoigner de leur situation devant mon lycée s’il te plaît ? » En deux jours, il a bien compris à quoi servait un ambassadeur.