Normalisation des relations américano-cubaines: Les points de friction qui subsistent
DECRYPTAGE•Alors que John Kerry inaugure officiellement l’ambassade des Etats-Unis à La Havane ce vendredi, plusieurs questions restent toujours en suspens…Bérénice Dubuc
Un rendez-vous avec l’Histoire. Ce vendredi, John Kerry doit se rendre à La Havane pour rouvrir l’ambassade des Etats-Unis, officialisant le rapprochement historique annoncé par les présidents Obama et Castro en décembre. Mais, si les négociations bilatérales ont déjà permis plusieurs avancées diplomatiques -assouplissement des restrictions en matière de flux de personnes et de devises, libération de prisonniers, retrait de Cuba de la liste des pays soutenant le terrorisme…-, d’autres questions, plus délicates, sont encore à l’étude.
La levée de l’embargo…
Les Etats-Unis et Cuba, séparés seulement par les 150 km du détroit de Floride, ont rompu les liens dans la foulée de la révolution castriste de 1959, et Washington impose un embargo commercial à La Havane depuis 1962. Mais, alors que Barack Obama a demandé au Congrès américain de lever cet embargo, ce dernier, contrôlé par ses adversaires républicains, traine des pieds, beaucoup d’entre eux étant vent debout contre la mesure, la voyant comme une récompense aux frères Castro.
… et la question des compensations
L’embargo a été mis en place après la nationalisation, en 1959, par le gouvernement castriste d’environ un milliard de dollars de biens américains sur l’île. Et, malgré leur réconciliation, La Havane et Washington se réclament mutuellement des compensations. Jeudi, l’ex-président Fidel Castro, a ainsi insisté sur les « nombreux millions de dollars » que les Etats-Unis doivent à Cuba en compensation de l’embargo. En face, les Etats-Unis attendent toujours une compensation pour les expropriations lors de la révolution cubaine.
La protection des droits de l’homme et des dissidents politiques
En janvier, Cuba a libéré 53 prisonniers politiques, et s’est permis d’exprimer ses « sérieuses inquiétudes » concernant les droits humains aux Etats-Unis. Mais, côté américain, seuls les opposants à la détente -comme le républicain Marco Rubio- se sont fait entendre sur le sujet. John Kerry a d’ailleurs été critiqué pour ne pas avoir invité de dissidents à la cérémonie de ce vendredi. Invoquant des « contraintes d’espace » et un « événement entre deux gouvernements », il s’est rattrapé en annonçant qu’il rencontrerait des dissidents au cours d’une réception privée.
Cependant, ces derniers, inquiets de l’absence de conditions en matière de droits de l’homme et de promotion de la démocratie dans le processus de rapprochement, ont organisé dimanche une manifestation. 90 ont été interpellés, incitant le département d’Etat américain à marteler qu’il allait continuer à « défendre les droits de rassemblement et d’association pacifiques ainsi que les libertés d’expression et de religion » et à « exprimer [son] soutien à l’amélioration de la situation des droits de l’homme et des réformes démocratiques à Cuba ».
La restitution de la base navale américaine de Guantanamo
Ce morceau de terre d’environ 116 km2 a été loué aux Etats-Unis par Cuba en 1903. Mais, après la révolution, le gouvernement cubain a exigé sa restitution, jugeant qu’il s’agissait d’une occupation illégale. La demande a été rejetée par les Etats-Unis, qui considèrent qu’une disposition légale rend le bail permanent sauf si un accord mutuel pour le dénoncer est trouvé. Ils payent toujours un peu plus de 4.000 dollars par an, mais Cuba n’encaisse plus les chèques depuis 1959.
En mai, Raul Castro en a fait -avec la levée de l’embargo- la tête de liste de ses exigences. Et si les Etats-Unis ont réaffirmé qu’un nouveau plan pour fermer de « façon responsable » la prison militaire de Guantanamo était en cours d’élaboration, ils ont refusé de fermer la base navale. La prison n’est en effet qu’une partie de la base navale américaine, centre logistique pour la quatrième flotte des États-Unis. Mais, selon des experts militaires, même si elle est un avantage « stratégique et très utile », cette base n’est pas « irremplaçable », et « il est probablement inévitable que nous aurons à la rendre à Cuba, mais il faudra beaucoup d’efforts diplomatiques », a ainsi expliqué l’amiral en retraite James Stavridis au Washington Post. La preuve : John Kerry a affirmé le 20 juillet qu’il comprenait « les sentiments forts de Cuba » à ce sujet, mais que « pour le moment, elle ne fait pas partie de la discussion ».