VIDEO. Relations diplomatiques USA/Cuba: «Une ambassade est le roc émergé d’un archipel de relations diplomatiques»
INTERVIEW•Sophie Coeuré, professeur d'université en histoire contemporaine, explique l'importance des ambassades dans les relations diplomatiques...Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud
Après 54 ans de froid diplomatique, Cuba et les Etats-Unis ont rouvert officiellement leurs ambassades à La Havane et à Washington ce lundi, signe du rapprochement engagé en décembre 2014 par Raul Castro et Barack Obama. Professeur en histoire contemporaine à l’université Paris Diderot Paris 7, Sophie Coeuré revient pour 20 Minutes sur l’importance des ambassades dans la diplomatie.
Ouvrir, suspendre ou fermer une ambassade… Est-ce un acte toujours symbolique?
Ce n’est pas seulement un acte symbolique. Une ambassade est le roc émergé d’un archipel de relations. Dans le cas de Cuba, le geste politique de ce 20 juillet est historique. Si les relations entre les deux pays n’ont pas été rompues officieusement, le rétablissement des ambassades implique la réouverture, au grand jour, de services commerciaux ou encore culturels. Cependant, la réouverture de ces services ne signifie pas pour autant la levée complète de l’embargo, la libre circulation des personnes et des capitaux.
Pourquoi ferme-t-on une ambassade?
Il peut s’agir d’isoler un pays de la communauté internationale, puisque fermer une ambassade n’est pas, généralement, une décision bilatérale. Celle-ci peut fermer en raison de menaces, d’une situation dangereuse, comme par exemple en Libye. Dans un autre cas de figure, un pays se met volontairement au ban de la communauté internationale. C'est le cas par exemple la Russie avec la fin du régime tsariste et la prise du pouvoir par les bolcheviks en octobre 1917: le nouveau régime ne reconnaît plus sa dette ni ses alliances, et publie des accords secrets. Les chancelleries ferment alors et ne reconnaissent pas ce régime soviétique. Les Etats-Unis attendront ainsi 1933 pour reconnaître l’URSS. Et ils attendront 1979 pour reconnaître la Chine populaire, tout en maintenant des relations avec Taïwan. On peut évoquer une analogie historique avec, aujourd’hui, une détente sous l’impulsion du président des Etats-Unis Barack Obama.
Et à l’inverse, pourquoi ouvre-t-on une ambassade?
C’est une reconnaissance internationale. Dans le cas de la politique américaine, si l’on peut parler de détente avec Cuba ou encore l’Iran, le pas est cependant loin d’être franchi avec Téhéran. Il y a, des deux côtés, de fortes oppositions. L’anti-américanisme fait partie de la doctrine fondatrice du régime iranien, qui apparaît bridé. L’ancienne ambassade des États-Unis [lieu d'une prise d'otages historique en 1979] est loin d’être rouverte…
Y-a-t-il une gradation possible entre la fermeture et l’ouverture d’une ambassade?
Il y a plusieurs gestes diplomatiques forts. Un Etat peut rappeler son ambassadeur après une décision politique [comme par exemple la reconnaissance par le Parlement autrichien du génocide des Arméniens perpétré par l'Empire ottoman pendant la Première guerre mondiale] ou une affaire d’espionnage par exemple. Dans une situation dangereuse, les services d’une ambassade peuvent fermer à l’exception des services consulaires, qui traitent notamment les visas. Il peut y avoir enfin une rupture totale des relations diplomatiques entre deux pays.
La personnalité de l'ambassadeur peut-elle aussi être un sujet de différend ? Dans le cas de la nomination de l’ambassadeur français auprès du Saint-Siège, l’homosexualité de Laurent Stefanini serait un casus belli pour le Vatican…
L’homosexualité du diplomate français n’a jamais été un motif invoqué par le Vatican pour refuser son accréditation. Le jeu diplomatique est subtil, confidentiel, et ne cesse jamais. Les motifs réels ne sont pas souvent les messages qui sont proclamés à la face du monde. Il y a, au contraire, de nombreux messages feutrés diffusés en coulisses, qui sont parfois décryptés, des décennies plus tard, par les historiens…