Nucléaire iranien: «L'Iran négocie au bord du gouffre»
INTERVIEW•Clément Therme, chercheur associé à l’Ecoles des hautes études en sciences sociales, répond à « 20 Minutes »…Propos recueillis par Victor Point
Ce sont les autres réunions de la dernière chance qui ont lieu en ce moment. Alors que le mélodrame grec monopolise les instances économiques des pays européens, les chancelleries sont, elles, tournées vers Vienne, et la possible signature d’un accord sur la levée des sanctions économiques en Iran. Avec des conséquences géopolitiques impossibles à évaluer. Mardi soir devait voir cet accord signé, mais la date butoir a encore été repoussée, à vendredi cette fois. Qu’est-ce qui retarde tant cette signature entre Téhéran et les 5+1 (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie, Chine et Allemagne) ? Clément Therme, chercheur associé à l’Ecoles des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur de Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (PUF, 2012), nous aide à comprendre les ressorts de ces négociations sans fin.
La fameuse date butoir a encore été repoussée. Est-ce qu’on est proche d’un accord, ou est-ce qu’on s’en éloigne ?
Il y a un débat au sein des négociateurs pour savoir si le fait de repousser sans cesse cette date ne contribuerait pas finalement à rendre les débats sans fin... Au fond, je ne sais pas s’ils vont finir par signer cet accord, mais il faut bien garder en tête que le plus important dans l’histoire, c’est son application. Ce n’est pas un traité, c’est un plan d’action. Au plan juridique, ça n’a rien à voir. Et c’est l’incertitude liée à la bonne foi des différents acteurs à faire respecter l’accord qui ralentit tant les négociations. On est loin d'en avoir fini avec le dossier iranien !
Dans quelle position l’Iran aborde-t-elle cette semaine de négociations ?
Les Iraniens négocient au bord du gouffre. Il doivent composer avec un impératif économique très important – la levée des sanctions qui frappent le pays, condition à long terme de la pérennité du régime – mais aussi avec le respect de leur dignité nationale, un concept aussi flou que déterminant, que l’on peut rapprocher de la souveraineté nationale. En outre, en interne, la signature d’un accord renforcerait les modérés du régime qui mènent ces négociations et les plus radicaux font donc tout ce qu’ils peuvent pour empêcher cela. Surtout que l’année prochaine, les législatives se tiendront en Iran.
Mais les Américains sont aussi dans une position délicate. Ils ont besoin de l’Iran dans leur nouvelle approche politique, économique et militaire de la région. Mais l’accord devra être ratifié par le Congrès, aux mains des Républicains. Les négociateurs ont cela en tête, ils ne peuvent pas signer quelque chose qui n’aurait aucune chance de passer le Congrès. Au fond, des deux côtés, c’est la charge émotionnelle, une inimitié institutionnalisée résultat de trente-six années de tension, qui bloque la signature. C’est quand même un accord entre deux pays qui se sont qualifiés de« grand Satan » et de « mollah fous » depuis 1979 qui doit être signé.
Les différents acteurs parlent pourtant de trois points d’achoppement, à savoir l’accès aux sites militaires iraniens, le rythme de levée des sanctions économiques et la levée de l’embargo sur les armes. Des points de détail ?
Au vu des options mises sur la table, rien n’est insurmontable pour les différentes parties. Même au sujet des armes. Ils arriveront à trouver un terrain d’entente, en se mettant d’accord sur la définition des types d'armement possibles. Encore une fois, le vrai problème c’est le flou qui entoure l’application de l’accord. Si Jeb Bush est élu dans un an aux Etats-Unis, ne risque-t-il pas d’en dénoncer les termes ? Une fois l’accord signé et les sanctions économiques levées, pourquoi l’Iran tiendrait-elle ses engagements ? C’est pour cela que figure dans la proposition le concept de « snapback », qui permet aux Occidentaux, en cas de violations caractérisées des points de l’accord, de rétablir instantanément les sanctions.