TERRORISMELa parole d'un ex-détenu de Guantanamo pour dissuader les jeunes du djihad

La parole d'un ex-détenu de Guantanamo pour dissuader les jeunes du djihad

TERRORISMEParti faire le djihad en Afghanistan avant d'être arrêté par les Américains et enfermé à Guantanamo, Mourad Benchellali témoigne aujourd'hui auprès des jeunes des quartiers difficiles...
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Longtemps, on l’a regardé comme un « paria », aujourd’hui sa voix porte dans la prévention de la radicalisation. De passage en banlieue parisienne dans sa croisade contre le djihadisme, l’ex-détenu français de Guantanamo Mourad Benchellali emmène les jeunes dans son « voyage vers l’enfer ».

C’est un papa aux cheveux gominés et au regard effacé, comme vieilli trop tôt. A 33 ans, il espère que son histoire « évitera à des jeunes de se retrouver dans la même galère que lui… ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ».

Mercredi, il était invité à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), banlieue populaire qui a découvert, incrédule, qu’un habitant lambda, Chérif Kouachi, était l’un des tueurs de Charlie Hebdo. A la sortie du collège, face à des jeunes, le trentenaire déroule son parcours : Vénissieux, le camp d’entraînement en Afghanistan, les « cages » de Guantanamo.

La curiosité de l'auditoire

Chez les ados, son passage dans la prison américaine, « si sévère ? », avec ses tenues orange « comme dans les films ? » suscite une curiosité mêlée de respect. Un adulte rentre dans le vif du sujet :

- « Que diriez-vous à votre fils pour l’empêcher de partir en Syrie et gâcher sa vie ? »

- "Je lui dirais : "en vrai, tu ne défendras pas les Syriens, tu te rendras complice d’exactions, tu seras embarqué dans des groupes politiques, ta famille connaîtra la détresse. Est-ce cela aider les autres ?"

Trois mois avant le 11-Septembre 2001, Mourad s’égare dans sa « forêt de tours » aux Minguettes, banlieue populaire de Lyon. A 19 ans, il se laisse tenter par le frisson d’une « aventure » en Afghanistan, encouragé par son frère, un djihadiste endurci qui a purgé une lourde peine pour des projets d’attentats en France. « Ça te fera du bien », promet-il.

Une kalach et un « sentiment de toute-puissance »

« A l’époque, Al-Qaida, Ben Laden, ça n’évoquait rien à personne. Je ne partais pas avec de mauvaises intentions. J’étais excité à l’idée d’aller dans un pays en guerre où personne ne va ». De quoi « se vanter » ensuite dans le quartier. « J’étais naïf », souffle Mourad Benchellali.

A Kandahar, les deux mois de « vacances » virent au cauchemar. Maniement des armements le jour, vidéos de propagande la nuit : « Je n’étais pas venu pour ça ». Mais il admet que « porter une kalachnikov, un gilet de munitions, ça vous donne un sentiment de toute-puissance, ce que recherchent certains jeunes ».

Arrêté par l’armée américaine en 2002, il passe 30 mois à Guantanamo, découvre les sévices et le Coran. De retour en France, il est condamné à 18 mois de prison pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

Faire parler les repentis

Depuis sa libération en 2007, l’agent d’insertion, toujours vénissian, a raconté son histoire dans un livre, Voyage vers l’enfer, et témoigne régulièrement en Suisse et en Belgique, notamment dans des écoles.

En France, avec les départs de jeunes pour la Syrie et les attentats de janvier, « le regard a changé ». Dans sa boîte mail, la maman d’un djihadiste en Syrie implore de l’aide, des élus et des associations veulent travailler avec lui.

Devenu un peu plus fréquentable, il a été reçu à Matignon et devant une commission d’enquête du Sénat sur la lutte contre les réseaux djihadistes. Dans son rapport, elle préconise notamment de « s’appuyer sur la parole d’anciens djihadistes ou extrémistes repentis », « des discours beaucoup plus puissants quand ils sont cadrés que toutes les campagnes gouvernementales », relève l’islamologue et universitaire Mathieu Guidère.

« C’est pas du cinéma, c’est du réel », approuve Farid Diab, responsable à la ville du service jeunesse, à l’initiative de cette rencontre qui permet de « faire passer un message aux jeunes, leur donner des clés de compréhension ».

Benchellali refuse d’être « le repenti » de service, lui qui n’a « rien fait de mal ». Mais s’il a pu être un « problème » pour les autorités, il veut bien aujourd’hui faire partie de « la solution ».