La justice française ordonne l'audition de l'ex-commandant de Guantanamo
La justice française a ordonné jeudi l'audition de l'ex-commandant ...© 2015 AFP
La justice française a ordonné jeudi l'audition de l'ex-commandant de Guantanamo, le général Geoffrey Miller, à la demande de deux Français qui disent avoir été victimes de mauvais traitements dans ce camp américain où ont été détenues quelque 800 personnes soupçonnées de jihadisme.
Deux juges avaient rejeté en 2014 cette demande d'audition soumise par Nizar Sassi et Mourad Benchellali, arrêtés par les forces américaines en Afghanistan avant d'être transférés vers la base américaine sur l'île de Cuba, où ils ont été respectivement détenus de fin 2001 à 2004 et 2005, avant d'être renvoyés en France.
Ce rejet a été contesté par les plaignants qui ont obtenu gain de cause devant la cour d'appel de Paris, a déclaré à l'AFP leur conseil, Me William Bourdon, information confirmée de source judiciaire.
Le général Geoffrey Miller a commandé Guantanamo de novembre 2002 à avril 2004, et pris sa retraite en 2006 après 34 années dans l'armée, selon la demande des plaignants.
«La porte est entrouverte vers des poursuites contre les responsables civils et militaires des crimes internationaux commis à Guantanamo. Cette décision ne peut mécaniquement qu'entraîner des demandes d'audition d'autres dirigeants», a commenté Me Bourdon, interrogé par l'AFP.
Le conseil des plaignants avait notamment évoqué précédemment les noms de l'ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld (2001 à 2006), et de l'ancien conseiller juridique de la Maison Blanche (2001 à 2005) et ministre de la Justice (2005 à 2007), Alberto Gonzales.
A Washington, le Pentagone a refusé jeudi de s'exprimer sur le cas spécifique du général Miller, se bornant à renvoyer aux rapports officiels américains sur les mauvais traitements à Guantanamo, qui n'ont pas débouché sur des sanctions contre lui.
En 2005, une rapport du général américain Randall Schmidt avait proposé une réprimande pour le général Miller, pour avoir «échoué à superviser et fixer des limites sur les techniques d'interrogatoire». Mais le Pentagone n'avait pas donné suite.
- «Au coeur du dispositif» -
Nizar Sassi et Mourad Benchellali avaient porté plainte en France il y a plusieurs années pour détention arbitraire et torture, et une enquête est en cours.
«Le général Geoffrey Miller est identifié dans toutes les enquêtes internationales et américaines, comme étant au coeur du dispositif de politique de torture qui était pratiquée», avait expliqué il y a quelques semaines Me Bourdon. «Il n'est pas pensable que des explications ne lui soient pas demandées. S'il refuse de venir, il faudra en tirer les conséquences».
Les plaignants appuient leur demande sur un rapport du Centre pour les droits constitutionnels (CCR), basé à New York, et du Centre européen pour les droits de l'Homme et constitutionnels (ECCHR), qui détaillent les mauvais traitements infligés à Guantanamo et la responsabilité du général Miller.
Un rapport de la commission sénatoriale des Forces armées américaine, publié en 2008, indique qu'il existe des preuves que certaines techniques d'interrogatoire, telles que placer les détenus dans des postures contraintes ou dégradantes ou l'utilisation agressive de chiens, ont été employées lorsque Guantanamo était sous le commandement du général Miller.
Nizar Sassi et Mourad Benchellali ont également engagé des démarches devant la Cour européenne des droits de l'Homme.
Après de nombreuses péripéties judiciaires, le rejet de leur pourvoi par la Cour de cassation a rendu définitive en septembre 2014 leur condamnation à un an d'emprisonnement ferme pour avoir rejoint entre 2000 et 2001 l'Afghanistan avec des visées jihadistes.
La base de Guantanamo a commencé à recevoir les suspects de terrorisme quatre mois après les attentats du 11 septembre 2001.
Malgré la promesse de Barack Obama de fermer le camp, ils sont encore 122 à y être détenus, pour certains sans inculpation ni procès. Quelque 56 d'entre eux sont considérés comme libérables.
Contrôlé par l'opposition républicaine, le Congrès s'oppose à toute fermeture malgré des critiques sur les exactions qui y auraient été commises.
Le président américain a encore affirmé, mi-mars, qu'il «aurait dû fermer Guantanamo le premier jour» de son mandat à la Maison Blanche. En treize ans, près de 800 hommes soupçonnés de jihadisme y ont été enfermés. Seuls six ont été condamnés par les tribunaux de Guantanamo depuis leur création en 2006. La condamnation de trois d'entre eux a été annulée.