Grèce: «Tout le monde serait perdant si le pays sortait de la zone euro»
INTERVIEW•L’économiste Thibault Mercier analyse la situation politique du pays à vingt jours des législatives grecques...Propos recueillis par Nicolas Beunaiche
Un scénario «drachmatique» est-il en train de se mettre en place dans la zone euro? A vingt jours des élections législatives en Grèce, le parti de la gauche radicale Syriza fait toujours la course en tête dans les sondages, alimentant les inquiétudes et les fantasmes.
S’il venait à prendre le pouvoir, son leader, Alexis Tsipras, pousserait-il le pays à abandonner la monnaie unique? Qui aurait un intérêt à voir l’Etat hellène sortir de la zone euro? 20 Minutes a demandé son éclairage à Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas et spécialiste des pays européens frappés par la crise.
La sortie de la Grèce de la zone euro vous paraît-elle réaliste?
Je dirais que c’est une issue possible, à défaut d’être probable. Avant d’imaginer une sortie de la zone euro, il faut rappeler que même si Syriza arrive en tête lors des législatives, son avance ne sera probablement pas suffisante pour gouverner seul. Il lui faudra s’allier à d’autres partis, ce qui l'amènera probablement à se recentrer. A défaut des contraintes d'alliance, c'est la Realpolitik qui forcera Syriza au compromis. La recherche d’un terrain d’entente avec la Troïka semble aujourd'hui indispensable pour le maintien de la Grèce dans la zone euro, une place que Syriza revendique régulièrement. Une rupture des relations avec les créanciers officiels pourrait rapidement s’accompagner d’un assèchement de la liquidité en euro dans l’économie grecque via l’arrêt des versements de prêts et l’inéligibilité des banques grecques aux opérations de refinancement de la BCE.
Quelles conséquences ce scénario pourrait-il avoir, s’il devait quand même se concrétiser?
Tout le monde y perdrait. La Grèce aurait besoin de créer une nouvelle monnaie, mais que vaudrait-elle? Certainement peu. Les Grecs auraient des difficultés à importer et s’appauvriraient. Dans la zone euro, une sortie de l’Etat hellène créerait aussi un précédent. L’appartenance d’un pays à l'Union monétaire est supposée irréversible. Si la Grèce anéantissait cette croyance, les marchés viendraient à se demander qui est le prochain, et ce d’autant plus que 2015 est une année d’élections en Europe, notamment en Espagne et au Portugal.
Qui agite alors le spectre d’une sortie grecque: Syriza, ses opposants, l’Allemagne?
Syriza n’est pas un parti anti-européen et défend l’idée que la Grèce doit rester dans la zone euro. Ce qu’il souhaite, c’est demander un allégement de l’austérité ainsi que la renégociation de la dette grecque, et appliquer un programme plus social. Il semble d’ailleurs en phase avec la population, majoritairement pro-européenne. L’idée que Syriza pourrait pousser la Grèce vers la sortie vient de ses revendications plus anciennes. Il y a encore quelques mois, pour gagner en popularité, le parti s’était dit à favorable à un défaut unilatéral sur la dette publique. Depuis, avec la perspective d'arriver au pouvoir, il s’est recentré et modéré. Toutefois, un doute plane. Les déclarations d'Angela Merkel qui ont fuité visent à faire passer le message qu’il n’y a pas d’alternative au programme du FMI et de l’Union européenne -c’est-à-dire la rigueur budgétaire et le remboursement de la dette. Cela étant, un compromis semble possible, les Européens pouvant octroyer des conditions de remboursement plus souples. Mais elles seront conditionnées à des progrès en matière de réformes, notamment pour lutter contre la fraude fiscale et la corruption, qui restent importantes en Grèce.