FISCALITEEvasion fiscale au Luxembourg: Jean-Claude Juncker, juge et partie?

Evasion fiscale au Luxembourg: Jean-Claude Juncker, juge et partie?

FISCALITELe président de la Commission européenne est accusé de «conflit d’intérêts»…
Nicolas Beunaiche

N.Beu.

Les Luxembourgeois, rois de l’évasion (fiscale)? Les pratiques du pays sont en tout cas mises en cause dans une vaste enquête publiée jeudi dans plusieurs journaux à travers le monde. L’Etat luxembourgeois y est accusé d’avoir organisé un système d’évasion fiscale massive au profit des principales multinationales. Des révélations qui fragilisent le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Car avant de devenir l’homme fort de Bruxelles, Juncker a été le Premier ministre du Luxembourg pendant 18 ans, entre 1995 et 2013. C’est pendant cette période, entre 2002 et 2010, que selon l’enquête publiée par 40 médias internationaux, le Grand-Duché a passé des accords fiscaux avec 340 multinationales, dont Apple, Amazon, Ikea, Pepsi, Heinz, Verizon, AIG ou Axa, afin de minimiser leurs impôts.

Juncker va «s'abstenir d'intervenir dans ce dossier»

Les faits ne sont pas nouveaux. La Commission européenne a lancé il y a plusieurs mois une enquête pour savoir si le Luxembourg avait accordé, à travers cette pratique du «ruling», des «subventions déguisées» au géant américain d'internet Amazon et au groupe italien Fiat. L'enquête de la Commission concerne aussi l'Irlande avec Apple, et les Pays-Bas avec Starbucks. Mais entre-temps, l’élection de Jean-Claude Juncker à la tête de l’institution a changé la donne.

Via son porte-parole, Margaritis Schinas, Juncker a assuré ce jeudi à l’AFP que la Commission restait prête à sanctionner le Luxembourg, s’il y a lieu. La veille, il avait déjà déclaré que la Commission avait «parfaitement le droit de lancer des enquêtes de ce type», et promis de «s'abstenir d'intervenir dans ce dossier». La nouvelle commissaire chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, «doit avoir une grande liberté d'action et de propos, je ne la freinerai pas car je trouverais cela indécent», avait-il dit lors d'un point de presse.

Eva Joly évoque une «démission»

La pratique a beau être légale et commune dans d’autres pays européens, comme l’ont rappelé le Premier ministre et le ministre des Finances luxembourgeois, elle a tout de même suscité de vives réactions. Le groupe des Verts au Parlement européen a estimé que «la crédibilité» de Jean-Claude Juncker était «mise à mal», en dénonçant un «conflit d’intérêts». L’eurodéputée Eva Joly est, elle, allée plus loin sur Twitter en évoquant la démission du président de la Commission européenne.

« Jean-Claude Juncker n'a plus le choix. Il doit agir ou partir! #luxleaks — Eva Joly (@EvaJoly) November 6, 2014 »



Plus directs encore, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ont demandé sa démission après ce que la présidente du Front national qualifie de «scandale international». Cette enquête «met en lumière les pratiques détestables de ce paradis fiscal au coeur de l'Europe et à la tête duquel s'est trouvé pendant 18 ans l'actuel président de la Commission européenne: Jean-Claude Juncker», écrit Marine Le Pen dans un communiqué. «Devant ce scandale international, qui pose un problème aussi bien éthique, moral que politique, le Front national demande la démission de Monsieur Juncker et les explications immédiates des gouvernements français successifs sur ces pratiques d'évasion fiscale, dont tout indique qu'ils étaient informés», poursuit la frontiste.

«Alors que la Commission européenne enquête, depuis juin, sur les pratiques du Luxembourg, comment peut-on croire un instant que Bruxelles pourra agir en toute indépendance avec à sa tête l'homme politique qui fut pendant dix-huit ans le Premier ministre de ce paradis fiscal?» demande de son côté Nicolas Dupont-Aignan dans un communiqué. «Il est impossible que l'Europe règle le problème de l'évasion fiscale avec Jean-Claude Juncker qui en fut le fervent défenseur pendant de nombreuses années. La démission de Jean-Claude Juncker est donc inéluctable», a-t-il ajouté.