Tunisie: Les cinq leçons d’une élection historique
MAGHREB•Les Tunisiens ont donné la victoire au parti Nidaa Tounès face à Ennahda dimanche...Nicolas Beunaiche
La Tunisie ignore encore l’ampleur de la victoire du parti Nidaa Tounès. Mais le pays n’a pas attendu de connaître le visage de ses 217 députés pour tirer les leçons des premières législatives depuis le renversement de Zine El Abidine Ben Ali, en 2011. 20 Minutes fait le point sur ce qu’il faut retenir de ce scrutin historique.
La Tunisie avance sur le chemin de la démocratie
Au-delà du résultat, la tenue du scrutin est une victoire démocratique «considérable», juge le quotidien La Presse ce lundi. Quant à l’abstention, annoncée comme un trouble-fête, elle est finalement allée à la pêche. «C’est une assez bonne surprise, estime Beligh Nabli, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques. On attendait l’abstention à plus de 50%, elle est finalement restée inférieure à 40%.» Un chiffre que Larbi Chouikha, professeur à l’université de la Manouba, dans le nord du pays, veut toutefois relativiser: «La participation est en chute par rapport à 2011, puisqu’il y a eu un million d’électeurs de moins.»
La page du benalisme n’a pas été complètement tournée
Trois ans après la chute de Ben Ali, la victoire de Nidaa Tounès montre que la Tunisie n’en a pas totalement fini avec ceux qui ont œuvré pour le régime. Au sein de la formation victorieuse, on retrouve en effet d’anciens caciques du benalisme, en premier lieu son leader, Beji Caïd Essebsi, 87 ans, qui a servi Bourguiba puis Ben Ali. «On peut parler d’une contre-révolution de velours, analyse Beligh Nabli. La justice n’a pas fait son travail en jugeant les actes criminels du régime et désormais, le spectre de l’impunité rode. Or il y a un risque que cette impunité soit sanctifiée de fait ou par voie législative. Ce serait un coup dur pour la démocratie.»
L’islamisme divise la société en deux
Les résultats partiels des élections sont le signe d’une bipolarisation de la vie politique. D’un côté, Ennahda, le parti islamiste. De l’autre, Nidaa Tounès, la formation laïque. «Durant la campagne, les forces politiques ont beaucoup joué sur le sentiment anti-Ennahda de la population», rappelle d’ailleurs Larbi Chouikha. Et au bout du compte, «Nidaa Tounès a réussi à polariser le rejet des islamistes, que les Tunisiens considèrent comme les responsables de l’instabilité, de l’insécurité et de la situation économique et sociale», analyse Beligh Nabli.
La bipolarisation oblige à partager le pouvoir
Le pays se dirige vers une coalition, en raison du mode de scrutin. «Quel que soit le premier, Nidaa ou Ennahda, l'essentiel est que la Tunisie a besoin d'un gouvernement de coalition nationale, d'une politique consensuelle. C'est cette politique qui a sauvé le pays de ce que traversent les autres pays du Printemps arabe», soulignait la nuit dernière le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi. Nidaa Tounès pourrait-elle finalement s’allier à son adversaire? «Tout est ouvert», selon Beligh Nabli, qui rappelle que les leaders des deux partis se sont rencontrés pendant la campagne. «Ce serait dans l’intérêt de tous», ajoute Larbi Chouikha.
Le pays connaît peut-être déjà son président
L’élection de novembre ne sacrera qu’un président au statut honorifique. Dimanche, la présidentielle pourrait aussi avoir perdu une grande partie de son suspens. Opposé notamment au président sortant, Moncef Marzouki, et au président de l’Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar, le chef de Nidaa Tounès, Beji Caïd Essebsi, est désormais sur une rampe de lancement. «Il va bénéficier de la dynamique électorale des législatives, d’autant plus qu’Ennahdha ne présente pas de candidat officiel, explique Beligh Nabli. Il est en très bonne position, sauf à imaginer une coalition anti-Nidaa Tounès…»