Mines antipersonnel: «Il faut que les traités d’Ottawa et d’Oslo restent vivaces dans l’esprit de chacun»
INTERVIEW•Gnep Amélie Smoeun est l’une des premières victimes de mines antipersonnel qu’Handicap International a aidé à «vivre debout» à nouveau...Propos recueillis par Bérénice Dubuc
Ce samedi a lieu dans une trentaine de villes de France la 20e édition des «Pyramides de chaussures» d’Handicap International. Ce rendez-vous annuel vise à sensibiliser et mobiliser l’opinion publique contre les mines antipersonnel et, depuis 2003, contre les bombes à sous-munitions (BASM). Gnep Amélie Smoeun, Franco-Cambodgienne de 40 ans, est l’une des premières victimes qu’Handicap International a aidé à «vivre debout» à nouveau. Elle raconte à 20 Minutes son parcours.
Comment s’est passé votre accident?
J’avais à peine 10 ans. J'avais fui la guerre civile au Cambodge et je vivais dans un camp près de la frontière. En allant chercher de l’eau, j’ai marché sur une mine antipersonnel. Je me suis relevée, mais je suis retombée. Je n’ai pas compris pourquoi, j’avais seulement un bruit assourdissant dans la tête. Il m’a fallu tomber trois fois avant de regarder ma jambe droite. C’est là que j’ai vu qu’elle avait été soufflée. Je n’ai pas eu peur, mais je me suis dit que je ne devais pas rester là, seule dans la forêt. J’ai commencé à sautiller pour rentrer au camp mais je me suis évanouie. Par chance, j’avais atteint une route passante, et une moto s’est approchée de moi et m’a ramenée au camp.
C’est là que vous avez été soignée?
Soigner est un bien grand mot, tant il n’y avait rien. Pour seul antalgique, j’avais un bâton à mordre quand la souffrance était trop insupportable. Je me rappelle aussi une sorte de perfusion pour m’hydrater, et un bandage de fortune sur mes jambes. La droite était très atteinte et la gauche avait des éclats de mine partout, et ces conditions n’ont pas amélioré les choses. Ma jambe a été atteinte par la gangrène. J’ai alors été transférée dans un camp mieux équipé.
Où vous avez rencontré les membres d’Handicap International...
Oui, au camp de Kaho I Dang, en Thaïlande, où j’ai été placée, ils appareillaient les blessés. Moi, j’avais commencé à me faire à ma nouvelle situation, et je ne voulais pas de prothèse: j’allais bien plus vite avec ma béquille. C’était le début des années 80, à l’époque une prothèse était très lourde et il fallait s’harnacher tout le corps avec une sangle pour la faire tenir. Mais j’étais une gamine espiègle et très curieuse, et je passais mon temps à regarder comment ils travaillaient. Ils m’ont apprivoisée au fur et à mesure, et j’ai été prise en charge au bout d’un an.
Vous avez ensuite été amenée en France…
Je suis restée dans le camp au moins deux ans avant d’être choisie, avec ma tante et ma cousine, pour venir en France. Nous avons passé six mois à Paris, puis nous avons été envoyées à Lorient, où il y a le Centre Kerpape, un établissement de rééducation assez connu. J’ai grandi à Lorient, j’ai fait mes études à Rennes. Depuis 1984, je n’ai pas quitté la Bretagne.
Que représente cette 20e édition des «Pyramides de chaussures» pour vous?
C’est très symbolique. Cela permet de ne pas oublier. Il faut que les traités d’Ottawa et d’Oslo restent vivaces dans l’esprit de chacun, et que tout le monde sache que malgré cela, il y a toujours des gens qui marchent sur des mines et sont blessés ou tués. C’est une façon non seulement de soutenir des gens qui sont loin et qui connaissent la problématique des mines antipersonnel, mais aussi de donner les chaussures collectées à des associations locales, qui les redistribuent à ceux qui sont près et qui en ont besoin.
Vous y participez chaque année?
Non mais j’essaye dans la mesure du possible. Je suis aussi impliquée dans d’autres projets pour éduquer les gens: je suis infirmière, mais aussi conseillère de ma ville, et j’interviens dans des collèges et des lycées pour parler des mines antipersonnel, de la Paix, de droits humains…Je m’engage dans ce genre d’actions pour tous ceux qui vivent ce que j’ai vécu -ou d’autres expériences tout aussi douloureuses- et n’ont pas la possibilité de s’exprimer. Malgré ce que j’ai pu traverser -la perte de ma famille dans la guerre, mon accident…- j’ai toujours foi en l’homme.