TÉMOIGNAGEIsraël: «A Tel Aviv, j’ai une minute trente pour me mettre à l’abri»

Israël: «A Tel Aviv, j’ai une minute trente pour me mettre à l’abri»

TÉMOIGNAGECaroline*, habitante de Tel Aviv, nous fait vivre la chute d’une roquette sur Israël…
Christine Laemmel

Christine Laemmel

«J’ai de la chance, je n’ai vécu aucune alarme depuis dimanche.» Caroline pèse ses mots pour évoquer ses jours de veine. Car elle connaît également les jours «sans». Sans que les bombardements ne quittent son esprit une seconde. Ni son emploi du temps. «Une alarme chez moi le matin, une autre sur le chemin et une troisième au travail». Française laïque, mariée à un Israélien juif, Caroline vit à Tel Aviv depuis trois ans et demi. Elle nous raconte les alertes en temps de guerre.

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«Envoyer "Je suis en sécurité" via WhatsApp ou SMS»

A première vue, c’est plutôt répétitif. Un son strident qui monte et redescend dans l’air, «la même alarme que le premier mercredi du mois en France». Au même moment, le téléphone portable de Caroline vibre. Affichant grâce à une des applications existantes, le sigle d’une antenne noire sur fond rouge, puis l’agglomération visée par le missile, «Dan 160 par exemple». «A 10:01 ce mardi matin, il y en a eu une à Tel Aviv», alors que l’employée de start-up était sur son lieu de travail à Netanya. «Comme on le voit en bas de l’écran, il est même possible d’envoyer "Je suis en sécurité" via WhatsApp ou SMS.»

«Et si je n’entendais pas l’alarme?»

A partir de là, la consigne est simple. «Tout lâcher et courir», en une minute trente. Le temps que mettra la roquette pour toucher sa cible. Plus on s’éloigne de Gaza, plus le délai est long. Les frontaliers n’ont qu’une quinzaine de secondes. Certains rejoindront un des parkings de la ville aménagés en abris antimissiles. «Dans la rue, on rentre dans le premier immeuble qu’on voit et on descend au sous-sol», précise Caroline. La plupart des entreprises ou bâtiments publics ont leur abri. C’est même obligatoire dans toute nouvelle construction depuis 1992. «A la maison, je vais dans la cage d’escalier, comme tous les voisins, même si on a un abri au sous-sol. Le plus dangereux en fait, ce sont les débris et les éclats de verre.» Les roquettes, elles, sont stoppées dans 90 % des lancers, par le dôme de fer, système antimissile israélien.



Ne reste alors plus qu’à attendre «le boum, comme un bruit de feu d’artifice, qui signale soit l’interception du missile, soit l’explosion en zone non habitée. A chaque fois, suit une crise d’angoisse, des tremblements et des pleurs. C’est réel: un missile à vocation de tuer vient d’exploser.» Même prendre une douche ou aller aux toilettes devient source de stress. «Et si je n’entendais pas l’alarme? Et si je n’avais pas le temps de me mettre à l’abri?».

«Les gens se sentent en sécurité»

Malgré la peur, Caroline et son mari ont tenté une sortie non loin du port de Tel Aviv «juste 30 minutes pour boire un café», il y a deux semaines. Mais «en pleine rue, l’alarme a sonné. Des gens couraient vers un parking. Les voitures ne s’arrêtaient pas vraiment, malgré les injonctions diffusées à la radio en boucle. "Sortir du véhicule, se coucher à plat ventre les mains sur la tête, du côté non exposé au trafic et attendre 10 minutes". Nous, on s’est accroupis contre un mur. Des gens ont pointé le ciel du doigt». Ils désignaient le missile, visible à l’œil nu, comme on indiquerait un ballon dirigeable au-dessus de Paris. Cette fois, l’engin a été intercepté à peine à un kilomètre de Caroline. «J’ai été la plus proche de l’impact, la seule fois où j’étais dehors, relève-t-elle avec sarcasme. C’était au-dessus de ma tête. Un peu traumatisant.»

Eprouvée mais la voix enjouée, Caroline relativise sans mal sa position. «Même si je connais des gens qui restent cloîtrés chez eux, la plupart ici se sentent en sécurité et moi aussi. On va au travail, on sort, on dort, même mal. Je pense à la chance qu’on a d’avoir cette technologie [le dôme de fer]. Je pense aux habitants de Gaza qui ne l’ont pas. On vit une guerre, c’est dégueulasse, c’est une guerre. Mais on vit dans deux réalités différentes.»