Libye: Un pays en pleine guerre civile qui «se dirige droit vers la guerre totale»
DÉCRYPTAGE•Près de trois ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye est secouée ces derniers jours par une nouvelle flambée de violences, face auxquelles les autorités semblent impuissantes…Bérénice Dubuc
Que se passe-t-il en Libye?
Depuis dimanche, des milices islamistes lancent des tirs de mortier et des roquettes sur l’aéroport international de Tripoli, contrôlé depuis 2011 par des brigades anti-islamistes. C’est la dernière flambée de violences en date entre les milices islamistes – considérées comme le bras armé du courant islamiste au sein des autorités — et les brigades anti-islamistes de Zenten (sud-ouest de Tripoli) - considérées comme la force militaire du camp libéral. Dans l’est du pays, des combats opposent depuis lundi les forces de sécurité à des groupes islamistes radicaux, et des combats quotidiens ont lieu depuis la mi-mai entre combattants islamistes et forces paramilitaires du général dissident Haftar, qui a lancé une offensive contre les groupes islamistes «terroristes».
Comment ont réagi les autorités?
Le gouvernement libyen, dépassé, a annoncé envisager de faire appel à des forces internationales pour l’aider à rétablir la sécurité dans le pays. Mais la mission de l’ONU en Libye (Unsmil), qui assistait les autorités de transition dans la reconstruction des institutions, a annoncé lundi le «retrait temporaire de son personnel pour des raisons de sécurité».
Le pays est-il en train de tomber dans la guerre civile?
«La Libye est déjà en train de vivre une guerre civile, et se dirige droit vers la guerre totale», martèle Riadh Sidaoui, directeur du Centre Arabe de Recherches et d’Analyses Politiques et Sociales à Genève (Suisse). «C’est à la fois un conflit idéologique (entre islamistes et libéraux), régionaliste (entre l’est, l’ouest et le sud), et tribal (entre les pros et anti-Kadhafi). De plus, le terrorisme international y a trouvé un foyer prospère. On assiste à une véritable “somalisation “de la Libye», explique-t-il.
Le spécialiste explique que le pays «est divisé en villes militaires autonomes, indépendantes, que le pouvoir central n’arrive pas à contrôler». «Aujourd’hui, on ne sait pas qui gouverne, ni où est l’autorité», juge Riadh Sidaoui. La Libye ne s’est en effet toujours pas remis de la révolte qui a renversé en août 2011 le dictateur Mouammar Kadhafi. Des milices y font la loi, face à des autorités affaiblies et plus préoccupées par les luttes d’influence pour garder le pouvoir.
Qu’en est-il de la normalisation démocratique engagée?
Après la «libération» officielle du pays en octobre 2011, les Libyens ont élu à l’été 2012 un Congrès général national (CGN), l’Assemblée nationale libyenne. Tiraillé par de nombreuses luttes d’influence et incapable de mener à bien sa mission (rédaction d’une Constitution puis élections générales dans les 18 mois), le CGN a prolongé en décembre son mandat jusqu’au 24 décembre 2014, provoquant la colère d’une grande partie de la population et de la classe politique.
Le 25 juin, des élections législatives pour remplacer le CGN ont eu lieu, dont les résultats définitifs seront annoncés le 20 juillet. C’est ce scrutin qui raviverait les violences, selon certains observateurs, le courant libéral étant crédité d’une majorité confortable devant les islamistes. «L’assaut sur l’aéroport peut être interprété comme une mesure préventive (des islamistes) pour tenter de s’emparer d’installations importantes dans la capitale», estime l’analyste libyen Mohamed Eljarh. «Les islamistes sont déterminés à se maintenir en tant qu’acteur majeur sur la scène politique, après leur défaite aux élections et la menace croissante de l’opération du général Haftar contre les islamistes dans l’est libyen», a-t-il ajouté.
La situation risque-t-elle d’empirer?
C’est très possible. «Il faudrait un miracle pour que le pays se stabilise», reprend Riadh Sidaoui. Comment pourrait-il y arriver? «Il faudrait recréer une armée nationale libyenne homogène, qui puisse déposséder les milices de leurs armes et combattre les foyers terroristes, et trouver un compromis politique entre les chefs tribaux, les cheikhs…», énumère le spécialiste.