Ex-otages au Niger: Comment les entreprises françaises sont-elles protégées à l’étranger?
INTERVIEW –Ancien directeur du renseignement à la DGSE (2002-2003), Alain Juillet préside le Club des directeurs de sécurité des entreprises. Il répond à «20 Minutes» sur la façon dont les entreprises françaises sont protégées à l’étranger, après la libération des Français enlevés en 2010 sur le site d’Areva au Niger...Propos recueillis par Faustine Vincent
Qui assure la protection des entreprises françaises qui sont implantées dans des zones à risque à l’étranger, comme Areva au Niger?
Toutes les grandes entreprises ont passé des contrats avec une ou plusieurs sociétés privées de sécurité, mais aucune ne le dira. On sait qu’Areva a passé un contrat avec la société EPEE parce qu’il y a eu des fuites dans la presse, mais sinon cela relève du secret des entreprises.
Pour assurer leur sécurité, les entreprises peuvent aussi négocier avec les autorités locales pour qu’elles leur fournissent une protection armée. Au Niger, elles ont un accord avec le gouvernement car les lois de ce pays sont précises sur l’emploi de la force: les gardes des sociétés privées de sécurité n’ont pas le droit d’être armés. La sécurité est donc assurée par l’armée ou la police nigériennes.
L’Etat français peut également participer à la sécurité des entreprises. Areva est un groupe très surveillé car il attise la convoitise. C’est logique qu’il demande au ministère de la Défense de voir sur place pour avoir un avis, et pour que les forces spéciales puissent observer le dispositif en amont et agir plus efficacement s’il y a un problème [des forces spéciales françaises ont été déployées en janvier dernier pour assurer la sécurité du site d’Areva au Niger, ndlr].
Quelles missions accomplissent exactement ces sociétés privées de sécurité?
Tout dépend des contrats signés avec les entreprises. Cela peut être de l’appui, du conseil, ou de la sécurité proprement dite. Par exemple, pour Areva, ce sera la sécurisation du campement, des déplacements des expatriés, du matériel ou encore des mines. Il faut vérifier que tout se passe bien recueillir des informations dans la zone… Chaque entreprise française organise son système comme elle le veut.
Ce qui ne varie pas, c’est la loi française unique depuis l’arrêté Karachi [la Direction des constructions navales (DCN) avait été condamnée pour faute inexcusable après la mort de plusieurs de ses ingénieurs lors des attentats de Karachi en 2002] : l’entreprise est responsable de la sécurité de leurs expatriés et de leurs familles à l’étranger.
Combien cela coûte aux entreprises?
Le coût de la sécurité reste très faible – moins de 1% de leur budget – tant qu’il n’y a pas de problème, et ce n’est rien par rapport au risque d’enlèvement ou d’assassinat. Mais en période de crise, c’est vrai que les dépenses sont considérables, mais je ne peux pas donner de chiffre.
Que se passe-t-il en cas de prise d’otages?
Il faut modifier le contrat passé avec la société privée de sécurité car on n’arrive pas directement aux ravisseurs. Il faut avoir des informations sur ce qui se passe, envoyer des négociateurs, trouver des intermpédiaires... Tout cela coûte de l’argent. Ce travail peut être effectué par des sociétés privées de sécurité spécialisées dans la libération d’otages. En France, certaines le sont. Je ne peux pas révéler lesquelles. Elles emploient par exemple d’anciens membres du GIGN. Cela coûte d’autant plus cher que ces gens prennent des risques. L’entreprise responsable peut aller jusqu’à payer une rançon.
L’Etat ne fait-il pas tout ce travail de recherche?
Comment voulez-vous que l’Etat gère tout ça… C’est un travail commun entre les entreprises et lui. En Angleterre, ce sont les compagnies d’assurance qui prennent tout cela en charge, et qui payent les rançons.
Vous appelez à revoir les lois françaises concernant la sécurisation des entreprises françaises dans les zones à risque. Pourquoi?
Parce que les sociétés privées de sécurité françaises n’ont pas le droit d’être armées, sinon c’est considéré comme du mercenariat. Donc on perd des contrats: nos grandes entreprises se retrouvent à travailler avec des sociétés anglaises, chinoises ou encore russes. Et ces sociétés étrangères emploient des Français, réputés pour leur compétence... Nous avons engagé la discussion avec le gouvernement là-dessus depuis l’année dernière. Ce qui s’est passé à Arlit pourrait contribuer à plaider en notre faveur, même si ce n’est qu’un élément d’un dossier complexe.