DIPLOMATIEEspionnage de la NSA en Europe: Que savait vraiment Barack Obama?

Espionnage de la NSA en Europe: Que savait vraiment Barack Obama?

DIPLOMATIEAlors que l'Allemagne et le France demandent des réponses, la Maison Blanche n'est pas claire sur la question...
Philippe Berry

Philippe Berry

De notre correspondant aux Etats-Unis

Que savait Barack Obama, et quand. Alors que chaque jour amène son lot de révélations sur l'étendue de la surveillance des citoyens et des dirigeants européens par la NSA, ces deux questions sont pour l'instant sans réponse officielle. 20 Minutes fait le point avec des experts américains.

Barack Obama a-t-il autorisé la surveillance du téléphone personnel d'Angela Merkel?

On ne sait pas. Selon une source officielle du Wall Street Journal, le président américain aurait vécu dans l'ignorance pendant cinq ans: il n'aurait appris l'existence du programme de surveillance des communications de 35 leaders que cet été. Depuis, la NSA a mis un coup de frein, même si certaines portions sont toujours actives. Son de cloche différent du côté du journal allemand Bild am Sonntag, selon lequel Barack Obama aurait autorisé l'espionnage du téléphone personnel d'Angela Merkel il y a trois ans, continuant un programme commencé sous George W. Bush en 2002. Des sources anonymes de la communauté du renseignement affirment au L.A. Times que la Maison Blanche a validé les cibles choisies. La NSA serait «furieuse» que le président essaie de prendre ses distances. Lundi, son porte-parole, Jay Carney, a indiqué que des précisions seraient fournies d'ici la fin de l'année, une fois un audit terminé.

Est-il possible que Barack Obama n'ait pas été au courant?

«C'est une possibilité non négligeable», estime Matthew Aid, historien spécialisé sur le renseignement US, auteur du livre The Secret Sentry: The Untold History of the NSA. Selon lui, le briefing quotidien que lit Barack Obama ne précise pas forcément l'origine des informations, et, à l'époque, il était «davantage préoccupé par des questions domestiques» comme la réforme de la santé et la crise économique. Le journaliste James Bamford, auteur de The Shadow Factory, est plus mesuré. «Obama est connu pour son manque d'intérêt sur le renseignement. Mais que le directeur de la NSA prenne une telle décision sans le feu vert du président serait du jamais vu», estime-t-il. Il reconnaît toutefois qu'il est «possible» que le patron de la lutte antiterroriste de l'époque, John Brennan, n'ait pas fourni tous les détails à Barack Obama.

Les réactions des leaders européens sont-elles hypocrites?

Oui et non. «Comment, la DGSE et la DST espionneraient aussi des nations alliées?», s'amuse Matthew Aid, selon qui la France est «l'un des pionniers de la surveillance depuis la Première Guerre mondiale». L'historien estime que les cris du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius –qui interagit directement avec les services de renseignement– sont avant tout pour la forme, il est possible que François Hollande n'ait pas mesuré l'étendue du programme de la NSA. Et selon James Bamford, il y a «une différence» entre un espionnage toléré au niveau des services administratifs et une surveillance du téléphone personnel d'Angela Merkel.

L'Europe largement moins surveillée que le Moyen-Orient

70 millions de communications françaises interceptées, c'est à la fois peu et beaucoup. Les chiffres, fournis par les révélations d'Edward Snowden: 361 millions en Allemagne, presque 22 milliards en Afghanistan, 13 milliards au Pakistan ou 8 milliards en Irak. «L'Europe est importante mais ce n'est pas la priorité numéro un du renseignement américain», analyse Aid. Selon lui, l'espionnage des Européens était stratégique après le 11 septembre, alors que la France et l'Allemagne s'opposaient à l'intervention en Irak. Depuis, l'intérêt est avant tout économique. Concurrence entre Boeing et Airbus, décision de l'Allemagne sur la Grèce, incertitude sur le sort des banques espagnoles... Ces informations peuvent être stratégiques pour les Etats-Unis.

Et maintenant?

Au milieu des années 90, l'indignation face au programme Echelon était vite retombée. «La donne est cette fois différente», estime James Bamford. Avec la collaboration active des opérateurs de télécommunication, la surveillance de la NSA a été automatisée. Selon le journaliste, les Européens vont faire pression sur Washington pour forger de nouveaux accords sur le partage d'informations et établir des règles plus claires en matière d'espionnage entre alliés. Et l'UE pourrait enfin sérieusement s'attaquer à la sécurisation de ses communications, alors que la plupart des protocoles, des logiciels et du matériel utilisés sont sous contrôle américain.