INTERVIEWSuède: «Comme en France en 2005, une petite étincelle a suffi, et le brasier de frustrations s’est enflammé»

Suède: «Comme en France en 2005, une petite étincelle a suffi, et le brasier de frustrations s’est enflammé»

INTERVIEWDepuis plusieurs nuits, les quartiers les plus pauvres et qui concentrent la plus forte population immigrée de la banlieue de Stockholm s’embrasent...
Propos recueillis par Bérénice Dubuc

Propos recueillis par Bérénice Dubuc

Incendies de voitures, dégradations et jets de pierres… Pour la quatrième nuit consécutive, la capitale suédoise, Stockholm, et les quartiers à la fois les plus pauvres et qui concentrent la plus forte population immigrée de sa banlieue, ont été le théâtre d’échauffourées. Ces incidents auraient pour origine la mort à Husby, un quartier défavorisé de la capitale, d'un habitant de 69 ans, abattu par la police. Les violences se sont ensuite étendues à d'autres quartiers. Boa Ruthström, qui dirige le groupe de réflexion de sensibilité «centre gauche» Arena Idé, l’un des think tank les plus influents de Suède, analyse les raisons profondes de cette flambée de violence.

Comment expliquez-vous les violences de cette semaine?

Contrairement à ce que dit l’extrême droite, la Suède n’a pas un problème d’immigration, mais un problème de chômage. La principale cause de ces émeutes est la frustration ressentie par les jeunes de ces quartiers: pauvreté, ségrégation, chômage… Une grande partie de la jeunesse défavorisée ne trouve pas sa place dans le système scolaire puis sur le marché du travail. Ils -ce sont quasi exclusivement des jeunes hommes- expriment leur frustration en brûlant des voitures et en cassant des vitrines. Comme en France en 2005, une petite étincelle a suffi, et le brasier de frustrations s’est enflammé.

Ces violences signifient-elles que le modèle suédois d’intégration ne fonctionne pas?

C’est une preuve de l’échec du modèle suédois. Il y a de plus en plus de disparité entre les revenus des différentes couches de la population. Beaucoup de personnes ont vu leurs revenus augmenter ces dernières années, mais en même temps, les plus pauvres sont devenus de plus en plus pauvres. La preuve: dans les quartiers riches, dans le centre de Stockholm, il n’a pas de manifestations. Cela concerne seulement les quartiers pauvres, y compris dans d’autres villes de Suède, comme Göteborg.

Mais je tiens à souligner que la grande majorité des habitants de ces quartiers ne sont pas violents: selon la police, il y a moins d’une centaine de jeunes casseurs. On parle surtout d’eux, mais il y a aussi des rassemblements pacifistes, de personnes issues de ces quartiers qui en ont aussi assez de cette situation, qui sont elles aussi touchées par la pauvreté, le chômage et la ségrégation. Mais, dans leurs manifestations, elles s’élèvent aussi contre les violences, qui détruisent le peu que leurs quartiers ont déjà.

Que peut faire le gouvernement?

Malheureusement, le gouvernement ne peut pas faire changer les choses à court terme. Il peut seulement essayer de reconstruire le modèle suédois et recréer de l’égalité dans la société. Il a aussi du travail à faire du côté de l’éducation nationale: il faut y investir plus pour que les jeunes quittent l’école diplômés et formés à un métier. Mais ces mesures n’auront pas d’effet avant une dizaine d’années.