«Les tensions se cristallisent entre les chaînes de télé et les producteurs»
INTERVIEW•A l’initiative de la ministre de la Culture et de la Communication, les professionnels se réunissent mercredi dans le cadre des Assises de l’audiovisuel. Philippe Bailly, fondateur du cabinet d'analyses NPA conseil, décrypte pour «20 Minutes» les enjeux de cette rencontre...Anaëlle Grondin
Le changement dans l’audiovisuel, c’est maintenant. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication, souhaite revoir l’organisation et les grandes règles du secteur de l’audiovisuel, secteur très encadré en France. Avant de se lancer dans de grandes réformes, la ministre de la Culture a souhaité réunir les acteurs du PAF pour discuter des évolutions possibles. Ces Assises de l’audiovisuel se tiendront mercredi. Entretien avec le spécialiste des médias Philippe Bailly.
Quel est l’état des lieux du paysage audiovisuel français?
L’ offre s’est considérablement élargie ces dernières années, avec le passage aux 25 chaînes gratuites de la TNT. La concurrence, notamment étrangère, s’est beaucoup intensifiée à la fois dans le gratuit (contenu vidéo gratuit sur Internet), dans le payant avec l’arrivée de BeIN sport, et potentiellement demain, l’arrivée des plates-formes Netflix, Hulu, Amazon, etc. Les revenus publicitaires des chaînes sont en baisse depuis trois – quatre ans. En 2012, le chiffre d’affaires publicitaire de la télévision était inférieur au niveau de recettes de 2004… Et quand on regarde les financements publics, il y a eu certes une petite valorisation de la redevance, mais dans le même temps il y a eu une diminution des subventions de l’Etat. On a donc un secteur qui est en crise financière alors même que l’offre est de plus en plus abondante.
Quels seront les points clés abordés lors des Assises de l’audiovisuel pour améliorer la situation, selon vous?
Il y en a trois qui complètent les conclusions de la mission Lescure. Elle a très bien posé la question de la concurrence des acteurs étrangers. Ensuite, il y a la question «comment arriver à des rapports apaisés entre les producteurs et diffuseurs?» Les tensions se cristallisent sur le partage de la valeur entre les uns et les autres. Aujourd’hui, les chaînes ne sont pas propriétaires des programmes qu’elles ont financés. Une des conclusions de la journée de mercredi devrait être la relance de cette idée d’une négociation entre les producteurs et les chaînes [impossible depuis l’entrée en vigueur des décrets Tasca]: quand une chaîne finance 70% d’un programme, à quoi ça lui donne droit quant à son utilisation et sa diffusion?
Enfin, la France est l’un des rares pays dans lesquels les fictions nationales sont beaucoup moins regardées que les séries américaines. Comment est-ce qu’on promeut des manières de produire et des manières d’écrire pour avoir des séries qui tiennent la route, dans des budgets qui ne peuvent pas augmenter? Dans les dépenses prises en compte pour calculer les obligations de financement des chaînes, on a commencé mais tout récemment seulement à mieux prendre en compte les dépenses d’écriture et de co-productions internationales. Il faudrait aller plus loin.
Les bouleversements sont-ils systématiquement liés à l’essor d’Internet?
Pas en totalité, mais pour une grande partie. Indirectement, parce que de nouveaux concurrents ont pu accéder grâce à Internet au marché français. Directement, parce qu’Internet a aussi favorisé une redistribution des budgets publicitaires. L’argent va ailleurs que vers les chaînes de télévision.
Les Assises de l’audiovisuel vont-elles avoir un réel impact? Il ne s’agit pas d’un coup politique?
Un coup politique, je ne crois pas. Je pense que c’est un point de départ qui permet d’avoir autour d’une même table les différents points de vue et de voir les points de convergences entre les acteurs. L’enjeu étant que cela puisse se discuter ensuite dans des délais resserrés. Concernant les relations entre producteurs et chaînes, il y a un état de tension qui fait qu’on ne peut pas attendre trop longtemps. La fin d’année 2013 serait une bonne échéance pour parvenir à un accord.