Epuisement, colère des candidats, agressions... Des journalistes politiques racontent la campagne
PRESIDENTIELLE•A la veille du second tour, trois journalistes qui ont suivi François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen racontent comment ils ont vécu la campagne...Claire Barrois
Epuisés, les candidats à l’élection présidentielle ? Les journalistes aussi. Trois d’entre eux, qui ont suivi la campagne de François Fillon, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen racontent à 20 Minutes à quel point couvrir la course à l’Elysée 2017 n’a pas été de tout repos.
- Jean-Baptiste Marteau, de France 2, sur la campagne de Marine Le Pen
« La campagne est hyper intense, avec quelques journées de 18 heures quand on commence, par exemple, à Rungis à 4h du matin et qu’il y a un meeting qui se termine à 23h30 le même jour. Dimanche dernier, c’était mon seul jour de repos en dix jours et raté, j’ai dû chercher des informations que je voulais et qu’on n’arrivait pas à avoir.
Avec les militants, ça a été beaucoup mieux que ce qu’on avait pu imaginer, même si le rejet de la presse était très présent. Souvent, aux meetings, nous croisions plus de sympathisants que de militants. Je fais mon travail honnêtement, donc j’ai un rapport normal aux gens. En discutant avec mes collègues, j’ai eu l’impression que c’était plus violent chez François Fillon que chez Marine Le Pen.
On a joué à "je t’aime moi, non plus" avec Marine Le Pen et son entourage : c’était difficile d’être prévenu à l’avance, notamment pour les déplacements. Mais ses équipes se sont professionnalisées au cours de la campagne. Encore ce vendredi, j’ai réussi à avoir une demi-info une heure avant sur son déplacement à Reims alors que je m’en doutais depuis hier. On perd du temps à trouver les informations de base qu’on a dans tous les autres partis, on doit tout le temps deviner où elle sera le lendemain.
« « Marine Le Pen a explosé : "Je vais les défoncer, je vais les défoncer." C’était le moment où je devais entrer sur le plateau avec elle, je me suis demandé où on allait. » »
>> Le pire souvenir : Quand Marine Le Pen est venue sur notre plateau lundi dernier, le ton est monté dans la loge. Elle regardait le journal de 20h à l’écran, et au fur et à mesure que les sujets passaient, je la sentais monter. Au moment où le dernier sujet est passé, elle a explosé en répétant : « Je vais les défoncer, je vais les défoncer. » C’était le moment où je devais entrer sur le plateau avec elle, je me suis demandé où on allait.
- Céline Landreau, de RTL, sur la campagne de Jean-Luc Mélenchon
« On a fait face à une critique des médias constante de la part des militants, mais sinon, l’ambiance était plutôt bon enfant parmi les sympathisants. Le plus difficile était de n’avoir aucune visibilité sur l’agenda de Jean-Luc Mélenchon. Son entourage ne prévenait que certains médias pour les déplacements en dehors des événements vraiment importants. On était souvent prévenus très tard et donc on a passé notre temps à guetter les informations.
Jean-Luc Mélenchon est entouré d’une petite équipe, pas toujours facilement joignable parce qu’ils ont beaucoup à faire. On peut passer la journée à essayer de les joindre et en dehors de l’attachée de presse du candidat, les jeunes autour n’ont pas vraiment les informations qui nous intéressent.
« « On a eu peu de jours de repos, sur une journée de meeting on peut travailler de 8h à 2h. » »
Ce qui a été le plus éprouvant ça a été de tenir le rythme sur la longueur. On a eu peu de jours de repos, sur une journée de meeting on peut travailler de 8h du matin à 2h dans la nuit. Quand le meeting est terminé, on n’a pas fini le boulot, il faut envoyer des éléments pour le journal du matin. Il faut aussi parfois se relever tôt pour faire une intervention en direct le matin. Les candidats crevés, mais les journalistes qui les suivent aussi !
>> Le pire souvenir : La journée la plus compliquée a été celle du 18 mars, lors du défilé pour la VIe République. Les services de sécurité mettent en place une corde pour protéger le carré de tête. Les journalistes étaient de l’autre côté de la corde et j’ai attendu une heure collée à cette corde pendant qu’ils faisaient rentrer mes confrères un par un, pour finalement pouvoir rentrer faire des sons avec les responsables du mouvement. »
- Matthieu Goar, du « Monde », sur la campagne de François Fillon*
« La campagne de François Fillon a été très compliquée à plusieurs moments et s’est beaucoup durcie avec les affaires. A la base, ce n’est pas un client facile, il offre très peu de off, il est réputé pour être difficile à approcher. On savait qu’on n’aurait rien à se mettre sous la dent en dehors des meetings.
Au moment des affaires, c’est devenu encore plus difficile pour nous. Il a employé l'arme anti-système pour survivre, s’est posé en victime pour solidifier sa base électorale et cela a eu des conséquences concrètes pour nous dans les meetings. Dès celui de Charleville-Mézières le 2 février, les militants ne voulaient plus nous parler. La base électorale est devenue éruptive sur le terrain.
« « On s’est fait insulter par une femme qui n’était pas loin d’en venir aux mains. » »
Les journalistes ont commencé à se faire régulièrement siffler dans les meetings, à Nice, une journaliste de BFM s’est fait cracher dessus, Hugo Clément de Quotidien a été gifflé au meeting de la porte de Versailles, un journaliste du Petit Journal s’est fait expulser du meeting…
>> Le pire souvenir : En ce qui me concerne, le Salon de l’agriculture a été très compliqué. Le 1er mars a été l’une des journées les plus folle de toutes les campagnes présidentielles : Fillon se faisait lâcher par beaucoup, il a annulé sa venue avant finalement de décider de venir. Sur place, l’ambiance était extrêmement tendue : entre les familles qui visitaient, la nuée de journalistes et les militants. On s’est fait insulter par une femme qui n’était pas loin d’en venir aux mains. »
* Matthieu Goar est également l’auteur, avec Alexandre Lemarié, de François Fillon, les coulisses d’une défaite, éditions L’Archipel, sortie le 10 mai 2017