MEDIASPourquoi le CSA ne peut rien contre Vincent Bolloré

Pourquoi le CSA ne peut rien contre Vincent Bolloré

MEDIASAprès des semaines d’ingérence dans la ligne éditoriale des chaînes du groupe Canal +, Vincent Bolloré a été auditionné ce jeudi durant près de deux heures par le CSA…
Vincent Bolloré le 24 septembre 2015 à la sortie de son audition au CSA
Vincent Bolloré le 24 septembre 2015 à la sortie de son audition au CSA - WITT/SIPA
Annabelle Laurent

Annabelle Laurent

«C'était un honneur et un plaisir d'être devant le CSA. Je crois beaucoup à la régulation française», a lancé Vincent Bolloré ce jeudi matin à la sortie de son audition par les huit sages du CSA. Canal+ indique de son côté que l’échange a été «serein et courtois».

Les sages ont-ils abordé la plupart des questions suggérées par le collectif «Informer n’est pas un délit», publiées mercredi dans Le Monde? Réclamé des comptes sur la censure du documentaire consacré au Crédit Mutuel, la déprogrammation de celui sur Hollande-Sarkozy, le retrait du reportage sur l’OM? Demandé si les intérêts de son groupe lui semblaient «compatibles avec le respect de l’indépendance éditoriale d’un média»?

Bolloré s'engage à créer un comité d'éthique

Les détails ne filtreront pas. Mais le Conseil a «pris acte des engagements formulés par M. Bolloré en matière de pluralisme et de diversité à l’antenne et émis le souhait que ces engagements soient rapidement formalisés», indique-t-il dans un communiqué envoyé aux rédactions ce jeudi en début d'après-midi.

Cet «échange approfondi a montré la nécessité de mettre en place un groupe de travail qui sera chargé d’examiner l’ensemble des conséquences que ces changements appellent quant à la régulation du groupe», indique par ailleurs le CSA, tandis que «dans l'immédiat, outre la reconstitution élargie et pluraliste du comité d’éthique d’iTélé, M. Bolloré s’est engagé à créer un comité d’éthique auprès de Canal+».

Pour l'heure, aucune sanction n’est prise pour autant, ce qui n’a rien de surprenant.

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Limité à faire respecter les conventions existantes

Connu pour privilégier les «rappels à l'ordre» aux véritables sanctions, qui restent rares, le CSA est d’abord limité par ses attributions. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut vérifier que Canal+ et I-Télé respectent leurs conventions, pas leur imposer des règles supplémentaires qui feraient autorité. Dans la convention d’iTELE, la garantie de l’indépendance de l’information est précisée, mais pour Canal, presque rien n’est écrit sur l’indépendance des journalistes.

Plus rien n’est écrit, plus précisément. Arrêt sur Images publie ce jeudi un document de 4 pages, la «Charte Canal+» qui était annexée à la convention entre 2002, année où le PDG de Vivendi Universal Jean-Marie Messier débarquait le PDG de Canal Pierre Lescure, provoquant une crise ouverte et la colère des journalistes qui étaient descendus dans la rue, et 2005.

Le texte, dont Jean-Marie Messier avait accepté la signature sur demande du CSA, garantissait alors l'indépendance éditoriale de la chaîne par rapport à son actionnaire, Vivendi, qui entendait à l’époque préserver «l'intégrité et l'unité» de la chaîne cryptée.

Puis, indique Arrêt sur Images, «pour des raisons inconnues, la charte avait été retirée il y a dix ans des annexes de la convention». Depuis dix ans, les journalistes ont donc perdu cette défense face à leur actionnaire.

«Le CSA doit écrire sa propre charte»

«Le CSA doit prendre la mesure de son insuffisance», réagit Julia Cagé, auteure de Sauver les Médias, contactée par 20 Minutes. L’économiste des médias appelle à l’écriture d’une charte propre au CSA.

Puisque «les chartes peuvent être renégociées à chaque changement d’actionnaire», «il faut que le CSA réfléchisse à l’écriture de sa propre charte d’indépendance par rapport aux actionnaires, et qu’elle s’impose à toutes les chaînes de télé, privées comme publiques», réclame l’économiste des médias.

Une telle charte serait «tout à fait faisable juridiquement, assure Julia Cagé, qui, optimiste, a bon espoir que l’impulsion vienne du ministère de la Culture.»

L’effet adoucissant du huis clos

L’audition s’est par ailleurs déroulée à huis clos, ce qui «en limite beaucoup l’ampleur symbolique, s’agace l'économiste. On aurait pu imaginer une audition à l’Assemblée. Si Bolloré était obligé de dire publiquement sa position, celle d’être en droit d’avoir le «final cut» [ce qu’il avait expliqué dès 2007 face aux journalistes de La Tribune], cela ferait beaucoup plus réagir».

Représentante de 27.000 auteurs (réalisateurs, journalistes, photographes...) français, la Scam (également signataire de la lettre ouverte) ne disait pas autre chose mercredi soir, dans un communiqué où elle demandait au CSA «de sortir de son silence concernant la situation à Canal+». Disant son espoir que l’audition «aboutisse à une clarification des orientations prises par ce dernier et que la CSA agira pour renforcer l’exercice de la liberté d’expression».

Le huis clos de l’audition prolonge ce silence. Pire, estime Julia Cagé, «il pourra donner un argument à Vincent Bolloré, au prochain incident, pour dire «J’en ai parlé au CSA, et il n’y a pas eu sanction. Il n’y a pas de problème»».