Marseille: Un lycée se mobilise pour sortir de rétention un élève migrant
MIGRANTS•Depuis quinze jours, ce demandeur d’asile, un Guinéen orphelin, ne va plus en cours, arrêté par la police à la sortie de son foyer d’hébergement d’urgence…Mathilde Ceilles
«J’ai vécu beaucoup de souffrances. Je voudrais vivre en paix. » Depuis le centre de rétention administratif du Canet, où il est détenu depuis plusieurs semaines, Ibrahima Kaba tente de ne pas courber l’échine.
Au retour des vacances scolaires, alors que ses camarades s’apprêtaient à faire leur rentrée, cet élève de 19 ans n’a pas franchi les portes de son établissement, le lycée Saint-Exupéry dans le quinzième arrondissement de Marseille. Le 22 février, alors que les congés battaient leur plein, le jeune homme, demandeur d’asile, a été arrêté par la police à la sortie de son foyer d’urgence marseillais où il vivait depuis décembre 2016, peu après son arrivée en France. Il vit depuis en cellule, dans l’attente d’être fixé sur son sort.
Traversée du désert
L’histoire d’Ibrahima est le difficile récit d’un migrant, né en Guinée. Son père décède quand il est enfant. Sa mère meurt il y a quelques années, emporté par l’épidémie d’ Ebola. Livré à lui-même, analphabète, Ibrahima apprend tout seul à lire et écrire. Maltraité par la famille qui l’a hébergé après le décès de ses parents, il quitte son pays avec un ami.
Commence alors un long et douloureux périple. « Le Mali, le Niger, et puis la Libye. C’était beaucoup de souffrances », se souvient-il. Les deux hommes traversent le désert à bord d’un pick-up. « Quand les gens tombent, le chauffeur ne s’arrête pas. Beaucoup de personnes y ont perdu la vie », raconte-t-il. En Libye, son ami est touché par une balle au bras. Ils décident de partir.
« Il venait au lycée avec le sourire »
Un jour, vers quatre heures du matin, ils embarquent chacun dans une pirogue, après avoir payé un passeur. Le bateau de fortune vogue pendant deux jours sur la mer Méditerranée. Direction : l’Italie. Arrivé sur la Botte, Ibrahima a perdu la trace de son compagnon de voyage. Il finit son chemin seul, jusqu’à arriver sur le territoire français en septembre 2016, après des mois de voyage. Sans famille, il ne connaît personne à Marseille.
« Une des premières choses qu’il ait faite en arrivant en France, c’est sonner au portail », rapporte Clémentine Boutet, conseillère principale d’éducation (CPE) au lycée Saint-Exupéry. En janvier, le jeune homme est admis dans une classe spécialisée, destinée aux jeunes nouvellement arrivés en France. « Un sas pour ensuite les intégrer dans un cursus plus classique ». A 19 ans, Ibrahima intègre pour la première fois une classe. « Il était apaisé, il venait au lycée avec le sourire et il commençait à envisager un avenir », raconte Sandra de Marans, assistante sociale scolaire au lycée. « C’est un élève assidu, appliqué », abonde Clémentine Boutet.
« On lui coupe tout »
En parallèle de sa scolarisation, le jeune Guinéen dépose une demande d’asile le 3 octbre. Le hic : à son arrivée en Italie, une autre demande avait déjà été faite en juin dernier. Or, la loi européenne prévoit que le droit d'asile relève du premier pays européen ayant enregistré cette demande. Le tribunal administratif, le tribunal de grande instance puis la cour d'appel confirment cette décision : Ibrahima doit retourner en Italie, où il bénéficiera de ce statut de demandeur d'asile. Lundi dernier, le jeune homme est conduit à l’aéroport. Touché par des problèmes techniques, l’avion qui l’attendait n’a jamais décollé, retardant l'expulsion.
Car Ibrahima n'a qu'un but : la France. « Je ne parle pas leur langue, je parle que français », justifie-t-il. Mais alors que l’étau semble se resserrer, le personnel et les élèves du lycée Saint-Exupéry ont décidé de se mobiliser. Avec le soutien de Réseau Education sans frontières (RESF), un premier rassemblement d’une trentaine de personnes a eu lieu ce jeudi devant l’établissement. Avec un mot d’ordre : « Pour le retour d’Ibrahima à l’école ». « Il faut qu’il sorte de détention, c’est une personne très fragile sur le plan psychologique et je crains que cela le fragilise encore plus », redoute Catherine Bordiec, l’infirmière du lycée. Et de poursuivre : « Il était en pleine préparation de son diplôme, et on lui coupe tout ! » « Je voudrais reprendre mes études et suivre une formation pour devenir peintre », abonde Ibrahima.
Pétition et rassemblement
Une pétition a été lancée il y a quelques jours par le Réseau Education sans frontières. Les conditions d’arrestation du jeune homme ont également particulièrement choqué les membres de ce collectif de soutien. « En pleines vacances, à la sortie de son foyer d’urgence… », grimace Clémentine Boutet, la CPE. « Si on veut des personnes sans-papiers, on va faire des arrestations à la sortie des Restos du cœur et des foyers d’urgence ! », se révolte Sandra de Marans.
La solidarité se met peu à peu en place. Personnel enseignant et militants de RESF rendent visite à tour de rôle à Ibrahima pour le sortir de sa solitude et, selon ses propres termes, « lui redonner du courage » Un second rassemblement aura lieu ce vendredi à 12h30 devant le centre de rétention administratif du Canet. Objectif : « le faire sortir de là » et « que le préfet lui accorde à titre exceptionnel » le traitement de sa demande d’asile par la France. Une option toutefois peu probable, la préfecture expliquant « appliquer la procédure ».