Marseille: La réalité virtuelle contre les phobies et le stress post-traumatique
SANTÉ•L'arrivée des casques de réalité virtuelle va bouleverser les thérapies...Mickael Penverne
Dans son bureau sont placardées des affiches de film : Le vent se lève, le long-métrage d’animation d’Hayao Miyazaki, ou encore Le hobbit de Peter Jackson. On y voit aussi un drôle de vaisseau spatial juché sur une imprimante, puis un kit complet pour les jeux vidéo de course avec volant, boîtier de vitesse et jeu de pédales. Il y a, enfin, cet autre objet qui promet de cartonner à Noël prochain : un casque de réalité virtuelle.
Nous ne sommes pas dans la chambre d’un adolescent trop gâté mais bien dans le bureau du docteur Eric Malbos, situé au 2e étage du pôle psychiatrique de l’hôpital de la Conception, à Marseille. Depuis quelques mois, ce spécialiste des « thérapies par exposition à la réalité virtuelle » expérimente une nouvelle façon de traiter les angoisses et les phobies de ses patients.
Un nouvel ingrédient
Pour traiter la peur de l’avion, du vide, des ascenseurs, du métro, de la foule ou des chiens, les thérapeutes se servent d'habitude de la thérapie cognitivo-comportementale qui vise à remplacer des idées négatives ou erronées par des pensées plus réalistes. Apparue au début du 20e siècle, cette thérapie n’est pas nouvelle. Mais aujourd’hui, il est possible d’y ajouter un ingrédient : la 3D.
« Ce qui provoque l’anxiété chez un patient, ce n’est pas la réalité mais son interprétation de la réalité, explique Eric Malbos. Face à une situation qu’il juge angoissante, il aura tendance à fuir. Moi, je lui propose de s’y confronter pour que, petit à petit, il s’y habitue. C’est une forme de déconditionnement. » Mais au lieu de l’accompagner dans un avion ou dans le métro (ce qui peut s'avérer cher et peu pratique), il lui met à disposition des outils capables de reproduire - quasiment à l’identique - les situations angoissantes.
Un environnement pour lutter contre l’acrophobie, la peur des hauteurs. - C2Care
Une start-up toulonnaise
Eric Malbos a mis au point une quinzaine d’environnements graphiques différents pour guérir des phobies les plus invalidantes comme la claustrophobie ou l’acrophobie, mais aussi certaines addictions comme le tabagisme. Associée notamment à de la relaxation, chaque séance dure en moyenne 30 à 40 minutes. Il en suffit d’une dizaine généralement pour voir l’angoisse s’estomper, voire disparaître.
Le scientifique a mis au point sa bibliothèque d’environnements avec l’aide d’une jeune start-up de la région, C2Care. Créée en décembre 2015, la « jeune pousse » développe ses logiciels à Toulon. En plus d’aider Eric Malbos, elle commercialisera en mai ses propres programmes - une dizaine pour l'instant - à destination uniquement des professionnels, pour lutter contre la peur du vide, de la foule ou encore de l’avion.
Un aéroport pour lutter contre l’aviophobie. - C2Care
Six millions de malades
C2Care compte surfer sur la future vague des casques à réalité virtuelle. Tous les géants de l’informatique s’y mettent : Sony, Google, Facebook (via Occulus), HTC et Samsung sortent, ou vont bientôt sortir, leur appareil. En arrivant massivement sur le marché, ils deviendront accessibles. A environ 600 ou 700 euros l’unité, « ces produits vont exploser, un peu comme les tablettes », assure Pierre Gadea, cofondateur de C2Care.
Evidemment, la plupart seront achetés pour s’immerger en 3D dans les jeux vidéo. Mais la start-up toulonnaise espère profiter de cet engouement pour vendre aussi ses solutions thérapeutiques. Le marché paraît immense puisque la France compte environ 65 000 professionnels de la santé mentale, et surtout six millions de personnes souffrant de phobies ou d’addictions.
Un Afghanistan virtuel
Avant de pousser la porte du docteur Malbos, Ingrid nourrissait une peur bleue de monter en avion. Pour la surmonter, elle a dû suivre la thérapie pendant plusieurs mois. « Sur une échelle de 100, j’étais, disons… A 80. Aujourd’hui, je suis à 30, estime-t-elle. Je ne dis pas que je n’ai plus d'angoisse. Mais ces séances ont changé ma façon de la penser, de la gérer et finalement, de la maîtriser ».
Eric Malbos suit en ce moment une centaine d'autres personnes qui viennent de Marseille, Nice, Toulouse et même Lille. Si l’hôpital de La Salpêtrière à Paris travaille aussi avec la réalité virtuelle, « nous sommes les seuls en France à proposer un tel choix d’environnements qui correspondent à presque autant de pathologies », souligne-t-il fièrement, avant de revendiquer un taux de réussite de 90 %.
Sa méthode pourrait même venir en aide aux vétérans et aux soldats victimes de stress post-traumatique. Le scientifique va expérimenter dans trois semaines un nouvel environnement à l’hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne, à Toulon : un « Afghanistan virtuel » avec un groupe de soldats qui part en reconnaissance et subit un accrochage. « L’idée, c’est de voir comment ils réagissent et comment ils se sentent » pour adapter la thérapie, conclut-il.