Procès de la drogue à Marseille: les nourrices pleurent mais ne lâchent rien
JUSTICE•Le tribunal correctionnel juge l’un des plus gros trafics de drogue de la ville…A.R. avec AFP
Une mère célibataire qui jette 280 000 euros par la fenêtre, un maçon surendetté qui veille sur 850 000 euros : les « nourrices » de la Castellane ont raconté ce qui les avait conduits à mettre un doigt dans le trafic de drogue. Sans rien lâcher sur les commanditaires.
Rouage essentiel du deal, ces « nourrices » ont comparu depuis mercredi devant le tribunal correctionnel de Marseille, qui juge l’un des plus gros trafics de drogue de cette ville, à plusieurs dizaines de milliers d’euros de chiffre d’affaires quotidien.
Le matin du coup de filet de juin 2013 qui a conduit à ce procès, les policiers en faction en bas de la tour K, épicentre du trafic de cannabis, voient deux sacs s’écraser à leurs pieds. A l’intérieur, 280 000 euros en petites coupures, une arme de guerre, un pistolet Beretta chargé, et une liasse de télégrammes de police, des documents confidentiels.
Un coup au trafic de la Castellane
Treize étages plus haut, Djamila, 55 ans, dit avoir paniqué. « Ça a tapé à la porte. J’étais affolée, j’ai jeté les sacs par la fenêtre sans réfléchir (…) je voulais pas perdre mes enfants », sanglote-t-elle. Djamila est l’une des « nourrices » chez qui les trafiquants stockent leur matériel, maniant un mélange de bâton - les menaces dans une cité « forteresse » dont ils contrôlent les accès -, et la carotte - une rémunération qui permet d’arrondir les fins de mois.
« Remplir le frigo »
Jean-François, également dans la tour K, dit avoir touché 1 600 euros par mois pour laisser les trafiquants disposer de son débarras. Payés le 28 de chaque mois, « comme dans un vrai boulot », relève la juge. Tee-shirt blanc, carrure solide, il n’a pas le look d’un banquier. Son appartement était pourtant devenu le coffre-fort des dealers. Les policiers y ont saisi trois sacs, ne contenant pas moins de 850 000 euros et une compteuse de billets. « C’était pour remplir mon frigo, payer mes assurances, mon gasoil et mes cigarettes », justifie ce maçon, reconverti dans la sécurité après des soucis de santé.
Son épouse fait des ménages et il y a, avec les enfants, six bouches nourrir dans l’appartement de ce quartier populaire du nord de Marseille, qu’il habite depuis vingt ans. « J’étais en difficulté d’argent, j’ai dit oui », et une à trois fois par semaine, « le monsieur cagoulé » venait déposer sa marchandise, raconte-t-il. Vers 18 h 00, 18 h 02, 18 h 03, c’était précis. Pas après, car il y avait mes enfants à la maison ».
Un sac à main de luxe
De son côté, Djamila, la femme qui a jeté le sac par la fenêtre, affirme ne pas avoir été payée. La juge relève toutefois qu’elle s’est achetée, entre autres, un sac à main de luxe et avait plusieurs centaines d’euros en espèces dans ses affaires.
Issue d’une famille de 14 frères et sœurs, elle n’est jamais allée à l’école. Mère célibataire au chômage, avec ses « 200 euros pour vivre » une fois le loyer et les factures réglées, Djamila était une cible de prédilection. « Je ne me suis pas posé la question de ce qu’il y avait dans les sacs, absolument pas », assure-t-elle, baskets à paillettes argentées aux pieds et bracelet rose au poignet. Son rôle de nourrice lui a déjà valu huit mois derrière les barreaux, en détention préventive.
« J’avais peur qu’ils me tuent »
Une seule « nourrice », un trentenaire célibataire chez qui quelques kilos de cannabis ont été retrouvés, admet qu’il n’avait pas besoin de l’argent du trafic pour vivre, mais aimait « flamber ». Face aux juges, dans une salle où comparaissent une vingtaine de trafiquants présumés qui scrutent leurs paroles, aucune « nourrice » ne peut, ou ne veut, lâcher le nom des dealers.
« Je ne les connais pas : je partais à six heures, je revenais à 17 h 00. A 21 h 00, je dormais car j’ai un travail pénible. Je gardais, c’est tout », a assuré Jean-François, que les enquêteurs soupçonnent de minimiser son rôle dans le trafic. Et la tentation de tout plaquer et « partir avec l’argent », lui demande la juge ? « J’avais peur qu’ils me tuent. »