Booba contre Rohff: la rivalité artistique tourne au drame
•Figures aussi sulfureuses qu'emblématiques du rap français, ...© 2014 AFP
Figures aussi sulfureuses qu'emblématiques du rap français, Rohff et Booba entretiennent une rivalité féroce, dans l'esprit même du milieu hip hop, mais leurs violents échanges verbaux, limités jusqu'ici aux réseaux sociaux, ont pris une tournure dramatique.
Lundi soir, un jeune vendeur de 19 ans travaillant dans la boutique parisienne de vêtements portant la griffe de Booba a fait les frais de la guerre entre les deux rappeurs. Il a été roué de coups lors d'une bagarre.
Après des mois de joutes oratoires, les invectives allant crescendo, Booba, de son vrai nom Elie Yaff, a répliqué sur un réseau social par un subtil «Trouve-moi à Paname sale pédale» à une moquerie adressée par son ennemi intime, Housni Mkouboi, alias Rohff.
C'est le casus belli ou la «punchline» de trop, du nom donné à ces phrases agressives bien connues du milieu hip hop.
Présent sur les lieux de la rixe, et placé en garde à vue, Rohff n'en est pas à son premier dérapage.
Né en 1977, originaire des Comores et élevé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), il a été confronté à la justice à plusieurs reprises dans les années 2000.
En juillet 2007, il a notamment été interpellé par la police pour port d'arme, dans un fast-food de Villejuif (Val-de-Marne) où il avait menacé son petit frère.
Interrogé il y a quelques mois par Le Parisien, il se disait toutefois «apaisé» grâce notamment à sa famille et à son fils âgé alors de deux ans.
Avec 1,4 million d'albums vendus, il est considéré par les experts comme l'un des plus grands rappeurs de sa génération, son premier opus «Le code de l'Honneur», sorti en 1999, faisant figure de classique du genre.
Ses deux concerts de jeudi au Transbordeur de Lyon et de vendredi au Zénith de Strasbourg, quasi complets, sont annulés, ont annoncé les salles mercredi.
- Un sens aigu des affaires -
Le parcours de Booba n'a rien à envier à celui de son opposant, tant musicalement que judiciairement.
Gros vendeur d'albums lui-aussi, né en 1976 à Boulogne-Billancourt (Haut-de-Seine), de père sénégalais et de mère française, il peut se targuer d'être le premier rappeur français à avoir rempli Bercy en solo.
Son album «Mauvais œil» est entré dans l'histoire du rap français en obtenant un disque d'or.
Doté d'un ego surdimensionné, il se définit lui-même comme le «maître du rap», doublé d'un sens aigu des affaires (il a crée avec succès sa propre ligne de vêtements streetwear), son nom apparaît à plusieurs reprises dans la rubrique faits divers et notamment lors du braquage d'un chauffeur de taxi en 1997.
«Ce que l'on peut relever toutefois, c'est que depuis le début du conflit mis en scène entre Rohff et Booba, le fonctionnement actuel des médias joue un rôle crucial», explique Karim Hammou, auteur d'«Une histoire du rap en France» (La Découverte).
Selon l'expert, joint par l'AFP, «les médias sociaux ne sont pas seuls en cause. Ils ne sont qu'un rouage parmi d'autres d'une agitation médiatique dans laquelle le scandale et les faits divers sont omniprésents.»
On est loin toutefois de la violence que peuvent atteindre certaines rivalités aux Etats-Unis, les assassinats dans les années 90 des rappeurs ennemis Tupac Shakur et Christopher Wallace étant restés dans les mémoires des connaisseurs.
«On peut éclairer cette triste histoire sans recourir à l'exotisation journalistique ordinaire du rap, sans convoquer par exemple les stéréotypes sur des États-Unis où la violence serait endémique comme si la France était un espace de pur amour et de pure délicatesse», explique M. Hammou
Rohff sera déféré mercredi soir devant la justice en vue de sa présentation devant un juge d'instruction jeudi, a-t-on appris de source judiciaire.
Selon cette source, une information judiciaire sera ouverte jeudi matin pour des «faits de violences volontaires en réunion, avec préméditation» et ayant causé une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Le rappeur pourrait être mis en examen.
«Je condamne cette violence, cela donne une image tout à fait caricaturale du rap car le rap ce n'est pas ça», a déclaré la ministre de la Culture Aurélie Filipetti interrogée sur BFMTV.