Le «non-recours» aux droits sociaux, phénomène massif, accentue la pauvreté
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En France, des milliards d'euros de prestations sociales réservées aux plus démunis ne sont pas réclamés, en raison d'un manque d'information, de la complexité des dispositifs ou de la honte ressentie, un «non-recours» qui contribue à accentuer la pauvreté. Cette question sera à l'ordre du jour de la conférence sur la pauvreté et l'exclusion des 10 et 11 décembre.
«Il y a dans notre pays non pas des excès de fraude mais des excès de non-recours à des droits qui existent et auxquels nos concitoyens ne font pas appel pour des raisons diverses», a récemment reconnu la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, promettant «des réponses» à cette réalité. L'ampleur du phénomène est analysée dans le livre L'envers de la fraude sociale (La découverte), écrit par les chercheurs de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), rattaché au CNRS, et publié début novembre.
Le non-recours bien plus massif que la fraude sociale
Citant des chiffres officiels, l'ouvrage fait le constat que le non-recours est bien plus massif que son pendant, la fraude sociale, estimée à 4 milliards d'euros par an. Chaque année, ce sont par exemple, 5,3 milliards d'euros de Revenu de solidarité active (RSA), 700 millions de couverture maladie universelle complémentaire (CMU C) ou 378 millions d'euros d'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS), qui, selon les estimations, ne sont pas versés à leurs ayants droit.
De même, le Dalo (droit au logement opposable), mis en place en 2008, est «loin d'être mobilisé massivement». Quatre ans plus tard, «un ménage sur dix n'a pas pu y accéder», souligne Julien Lévy, sociologue, un des auteurs de l'ouvrage. Les raisons de ce non-recours sont multiples: «Un défaut d'information, des complexités administratives qui peuvent décourager les demandeurs, ou tout simplement la honte», égrène Pierre Mazet, enseignant à Sciences-Po Grenoble.
«Les dispositifs ne sont peut-être pas adaptés aux besoins», avance aussi Héléna Revil, doctorante en sciences politiques, citant le cas de l'aide à la complémentaire santé, dont le taux de non-recours atteint 75%. «En fait, ce dispositif aide à payer une complémentaire santé, mais le reste à charge est encore beaucoup trop élevé pour les bénéficiaires», estime-t-elle.
Bons dispositifs, mais trop complexes
Pour les auteurs de l'ouvrage, l'ampleur du non-recours ne signifie pas forcément que les dispositifs sont mauvais, mais pose la question de leur mise en oeuvre, souvent «trop complexe». «Il faut faire des choix publics majeurs: s'agit-il de recentrer les aides, les simplifier?», interroge Philippe Warin, directeur de recherche au CNRS et cofondateur de l'Odenore. «Cela pose aussi la question de l'automaticité des aides», ajoute-t-il.
Autre difficulté, les allocataires des prestations sont régulièrement confrontés à des changements de situation, qui peuvent conduire à des ruptures dans leurs droits. «Il faut des allocations plus stables, plus prévisibles», qui ne risquent pas d'être coupées à tout moment, plaide Bruno Tardieu, délégué national du mouvement ATD Quart Monde France. Il cite le cas du RSA, dont le versement dépend d'une déclaration de ressources tous les trois mois.
«Au lieu de le suspendre dès qu'il manque un papier, il faut le maintenir, les bénéficiaires doivent sentir qu'on leur fait confiance, pas qu'on les prend pour des fraudeurs», estime Bruno Tardieu. D'autant que le non-recours a un coût. Les sommes non réclamées ou non versées amputent d'autant le pouvoir d'achat des bénéficiaires, de même que le renoncement aux soins pèse in fine sur le système de santé. «Derrière ce phénomène, il y a un enjeu économique fort qui mérite d'être souligné», juge Philippe Warin.