INTERVIEW«La réalité virtuelle en est au stade du téléphone brique» des années 80

Jason Rubin (Oculus): «La réalité virtuelle en est au stade du téléphone brique» des années 80

INTERVIEWMais pour le directeur des contenus d'Oculus, «le potentiel est infini»...
Philippe Berry

Propos recueillis par Philippe Berry

De notre correspondant en Californie,

Au début des années 90, Naughty Dog n’était pas le studio le plus talentueux de la planète. Mais en saisissant le potentiel de la 3D au bon moment avec l’arrivée de la Playstation, Jason Rubin a créé la sensation Crash Bandicoot, une franchise écoulée à 50 millions d’exemplaires. Aujourd’hui vice-président d’Oculus en charge du contenu, le quadra n’en démord pas : malgré les limites actuelles, « la réalité virtuelle (VR) est l’ultime étape de l’évolution de l’informatique ». Et « son potentiel est infini. »

La réalité virtuelle n’a pas été à la hauteur de la hype. Les ventes n’ont pas décollé. Le grand public est-il en train de la rejeter, comme les télés 3D ou Google Glass ?

Les télés 3D, il fallait deux secondes pour comprendre que l’effet de profondeur, même en s’améliorant, ne serait jamais renversant. Google Glass expérimentait avec la réalité augmentée mais la technologie n’était pas encore là. Ce qui différencie la réalité virtuelle, c’est son potentiel infini. Est-ce qu’on va rester au stade d’une grosse boîte sur la tête ? Non. La taille va se réduire. La résolution et le tracking des mains s’améliorer. On verra ses pieds et la salle autour de soi. On n’a fait qu’1 % du voyage. On est encore au stade du téléphone mobile brique des années 80.

Et 100 % du chemin, ça ressemble à quoi ?

Comme notre scientifique en chef Michael Abrash l’a dit, on peut imaginer un monde dans lequel il n’y a pas d’autre plateforme informatique après la réalité virtuelle. Car si une autre technologie peut exister, elle peut exister à l’intérieur de la réalité virtuelle.

Combien de temps avant le milliard d’utilisateurs promis par Mark Zuckerberg ?

On peut choisir une tendance ou un timing. A Oculus, on a choisi une tendance. Quand Mark parle d’un milliard d’utilisateurs, on ne peut pas vous dire si cela prendra cinq ou dix ans. La croissance ne sera pas linéaire. A un moment, quand on aura l’équilibre parfait de poids, de prix et de contenu, elle va exploser.

Le jeu The Climb a franchi le cap du million de dollars. Mais la plupart des développeurs peinent à survivre avec 10.000 ou 20.000 exemplaires vendus. Quelle taille critique devez-vous atteindre pour créer un écosystème viable ?

Que ça soit sur mobile ou sur console, c’est toujours difficile. Il y a des développeurs qui mettent la clé sous la porte tout le temps. C’est encore plus vrai aux premiers jours d’une technologie. Mais avec Microsoft qui met les bouchées doubles, et Google, et Valve et d’autres qui continuent de développer du hardware, on va arriver à un écosystème capable de faire vivre beaucoup de monde.

La Playstation s’est imposée avec ses « killer apps », Tomb Raider, Resident Evil, Gran Turismo. Ne manque-t-il pas des jeux incontournables à la réalité virtuelle ?

La Playstation avait très peu de jeux 3D à son lancement, hormis Ridge Racer qui venait de l’arcade. Il a fallu attendre un ou deux ans pour que les développeurs se familiarisent avec la technologie. C’est encore plus vrai pour la réalité virtuelle. On est dans la phrase d’expérimentation technique mais également au niveau du story telling. Mais on a déjà de vrais succès critiques, comme Lone Echo, de Ready at Dawn [des anciens de Naughty Dog et Blizzard], qui a obtenu 89 % sur Metacritic et ne pourrait pas exister ailleurs qu’en VR. Ubisoft a fait des choses intéressantes. On a annoncé un titre de Respawn, les créateurs de Titanfall. Certains gros éditeurs vont tenter l’aventure, d’autres vont bouder la technologie et rachèteront des petits studios au prix fort pour rattraper leur retard, comme ça a été le cas sur mobile. Tout le monde y viendra tôt ou tard.