«Sleeping giants» ou comment toucher au porte-monnaie les sites de «fake news»
INTERNET•Les « sleeping giants » (géants endormis) visent les sites de « fake news » au portefeuille. Les marques semblent les écouter...Mathilde Cousin
L'essentiel
- Une poignée d’activistes alerte les annonceurs qui se trouvent sur des sites classés à l’extrême-droite.
- Plusieurs centaines d’annonceurs ont retiré leur pub de ces sites.
- Ces activistes agissent anonymement.
Ils se surnomment les sleeping giants, les « géants endormis ». Leur action ? Interpeller les marques sur les réseaux sociaux. Leur but ? Que ladites marques retirent leur publicité des sites, qui, selon eux, diffusent des fake news et « se font passer pour des journaux ». Et donc affaiblir ces sites qui tirent une grande partie de leurs revenus de la publicité.
Ces « géants endormis » sont une poignée aux Etats-Unis et guère plus en France : a priori deux au commencement, rejoints par un troisième larron à l’occasion. Qui sont-ils ? Mystère. Notre interlocutrice, une femme, se fait surnommer « Rachel ». Elle nous explique que les sleeping giants ont des profils variés, « de l’étudiant au retraité. » Leur anonymat sert à les protéger dans leurs activités hors ligne. Avant de rejoindre le groupe, Rachel n’était pas hyperconnectée : elle ne possédait pas de compte Twitter et ne travaille pas dans le Web.
Pourtant, la notion de , le nerf de la guerre pour ces activistes, lui est vite devenue familière. Que cachent ces deux termes peu connus en dehors des services marketing ? Ils désignent un type de publicité en ligne, qui représentait 53 % des ventes de publicité numérique en 2016.
C’est ce type de pub qui s’affiche en fonction des cookies, de votre historique sur les sites Web, bref des données que vous laissez accessibles quand vous êtes sur internet. L’annonceur n’achète pas un espace bien délimité sur un site, mais son message s’affiche sur les sites en fonction de sa cible.
Conséquence : l’annonceur ne sait pas sur quel site s’affiche sa publicité. Seule exception : il peut choisir de ne pas apparaître sur les sites pornographiques et de jeux de hasard. C’est là qu’interviennent les sleeping giants : ils interpellent les annonceurs via Facebook ou Twitter pour leur signifier que leur pub se trouve sur Breitbart News ou Boulevard Voltaire.
Pourquoi ces activistes ont-ils choisi de viser ces deux sites, l’un actif principalement aux Etats-Unis, l’autre en France ? Ils refusent tout positionnement politique. L’élément déclencheur a été l’élection présidentielle américaine. « Les sleeping giants aux Etats-Unis se sont rendu compte que des blogs d’opinion avaient fortement influencé ces élections, développe Rachel. Il n’était pas question de voir qui avait gagné, mais l’ingérence qui a lieu par l’intermédiaire des fake news, des news anxiogènes, c’est ça qui est inacceptable. » Pour ces activistes, « un journal peut avoir une opinion politique, ce n’est pas un problème. Mais se déguiser en journal, ce n’est pas acceptable. »
Les « géants endormis » ont donc décidé de frapper au porte-monnaie, en ciblant les annonceurs dont les publicités apparaissent sur ces sites. Ils en ont recensé environ 1.400 qui apparaissaient sur Boulevard Voltaire, un site . A ce jour, 520 annonceurs du site. 700 annonceurs « n’ont jamais répondu, mais nous ne voyons plus leur publicité sur le site depuis notre alerte », détaille Rachel. A cela s’ajoutent 104 entreprises qui ont retiré leur pub, sans le confirmer auprès des activistes. 38 annonceurs continuent d’être présents sur le site « par conviction ou par désintérêt du sujet », analyse Rachel.
Breitbart lance un appel au boycott
Aux Etats-Unis, les sleeping giants ont fait parler d’eux lorsqu’ils ont demandé à Kellog’s de se retirer de Breitbart News. La marque a suivi la recommandation. En réaction, le site de Steve Bannon, l’ancien conseiller de Trump, a lancé une pétition pour appeler au boycott de la marque.
En France, il est difficile d’estimer à quel point Boulevard Voltaire est touché par l’action des sleeping giants. Gabrielle Cluzel, la directrice de publication du site, indique à 20 Minutes que le « conseiller juridique, qui se réserve la possibilité d’entamer une action en justice, ne juge pas souhaitable de communiquer à ce sujet. »
Après Boulevard Voltaire, les activistes réfléchissent à contacter les annonceurs présents sur les sites « pseudo-scientifiques, surtout ceux de la santé. » Parallèlement, ils réfléchissent avec d’autres activistes européens à l’élaboration d’une charte « à laquelle des annonceurs ou des agences peuvent adhérer, pour les aider à se positionner. »