DECRYPTAGEPourquoi Free a-t-il déclaré la guerre à Google?

Pourquoi Free a-t-il déclaré la guerre à Google?

DECRYPTAGELes deux groupes sont aux prises pour une question de neutralité du Net, mais aussi pour des raisons financières...
Anaëlle Grondin

Anaëlle Grondin

La controverse autour du filtrage des publicités par Free, qui a mené le fournisseur d’accès à Internet à s’expliquer à Bercy ce lundi matin, est allée au-delà du débat sur la neutralité du Net et a mis en avant une autre problématique. Pour plusieurs observateurs, il s’agissait-là pour l’entreprise de Xavier Niel de porter un nouveau coup dans le cadre de sa guerre contre Google, qui tire l’essentiel de ses revenus de sa régie publicitaire Adsense.

Une hypothèse confirmée à La Tribune par une source proche du dossier, qui a reconnu que «la démarche de Free» se voulait «un moyen de pression pour amener le géant américain à partager une partie des revenus qu’il tire de la publicité». Une vieille pomme de discorde entre Free et Google.

Pourquoi Free court-il après les dollars de la firme de Mountain View?

Face aux données toujours plus importantes qui circulent sur Internet, les FAI doivent investir dans des lignes à haut débit et des serveurs, et se moderniser sans cesse pour être en mesure d’absorber tout ce trafic. Free souhaite que Google contribue au financement des infrastructures qui permettent d'accroître la capacité de la bande passante. Pourquoi Google? Parce que le géant américain détient YouTube depuis 2006, la plateforme de vidéo, extrêmement gourmande en bande-passante. «Comme YouTube envoie des contenus très lourds, il faut augmenter le nombre de tuyaux d’interconnexions, commente pour 20 Minutes Edouard Barreiro, directeur des études à l’UFC-Que Choisir. Free conteste que ce travail-là soit uniquement à la charge de l’opérateur». De son côté, Google estime que le prix des abonnements payé par les internautes devrait servir à financer ces coûts.

Fleur Pellerin a reconnu dans une interview au Figaro ce week-end qu' «il y a[vait] aujourd'hui de vraies questions sur la répartition de la valeur entre les fournisseurs de contenus, notamment vidéo, qui consomment beaucoup de bande passante, et les opérateurs». «En France et en Europe, il nous faut trouver des modalités plus consensuelles d'insertion des géants du Net dans les écosystèmes nationaux», a poursuivi la ministre de l’Economie numérique.

Depuis quand Free croise-t-il le fer avec Google?

«Cela fait bien une bonne année que cette guerre a été rendue publique, mais cela date de bien avant», assure Edouard Barreiro. Le 13 janvier 2012, Xavier Niel, reprochant à Google de ne pas assez investir dans les infrastructures, avait encouragé les abonnés à Free se plaignant de la lenteur de YouTube à se rendre sur DailyMotion. «Les tuyaux entre Google et nous sont pleins à certaines heures, et chacun se repousse la responsabilité de rajouter des tuyaux. C'est un problème classique qui arrive partout, mais plus souvent avec Google», avait dénoncé l’homme d’affaires au Nouvel Observateur. Constatant que regarder une vidéo le soir sur YouTube relevait de l’exploit, l’association UFC- Que choisir avait tapé du poing sur la table en septembre dernier pour en finir avec «ce litige qui prend en otage les consommateurs».

«Soit Free ne met pas à jour les infrastructures, soit il réduit volontairement les débits des tuyaux», indique Edouard Barreiro. «L’UFC – Que Choisir sait que YouTube ne fonctionne pas correctement pour les abonnés à Free. C’est avéré.» L’expert du numérique renvoie vers une enquête réalisée par l’association auprès de 16.000 internautes: 83% des abonnés Free se déclaraient être dans l'incapacité d'utiliser correctement YouTube.

Quelles autorités peuvent entrer en jeu?

Le 12 décembre, l'Arcep, gendarme des télécommunications, officialisait l’ouverture d’une enquête administrative sur l’acheminement du trafic entre Google et Free. La semaine dernière, l'initiative de Free de filtrer par défaut la publicité l'a poussée à intervenir. L'autorité a adressé un courrier au FAI lui sommant de préciser ses intentions et de détailler les modalités du dispositif, a annoncé sur Twitter Jean-François Hernandez, responsable de la communication de l’autorité de régulation.

L'interconnexion fait l'objet de négociations commerciales entre les différents acteurs concernés, précise Edouard Barreiro avant d’ajouter: «Le "paquet télécom" transposé dans la loi française en 2011 permet de pouvoir saisir l’Arcep afin qu’elle arbitre». Depuis 2012, le gendarme des télécommunications cherche à comprendre les accords qui se nouent dans l’ombre entre les différents acteurs de l’Internet. Les opérateurs présents en France doivent lui communiquer régulièrement leurs données d'interconnexion: quel est le trafic entrant et sortant avec chaque opérateur de gros ou fournisseur de services et de contenus en ligne?

Les questionnaires désormais envoyés chaque semestre par l’Arcep aux acteurs concernés ont pour but de récolter des informations techniques et des informations tarifaires pour savoir qui paie quoi à qui. Cette collecte «permettra de mieux connaître les relations d'interconnexion et d'acheminement de données (de ces opérateurs de télécommunications) avec les autres acteurs de l'Internet», mais aussi «de pouvoir régler des différends», expliquait l'Arcep en mars. Google, qui ne s'estime pas concerné, a tout de même accepté de montrer certaines données au régulateur, en toute discrétion, selon Les Echos. Mais tous ne jouent pas le jeu et l'autorité de régulation n'a aujourd'hui que peu de prises sur ce marché opaque.