La sanction contre le juge Burgaud va «mécontenter tout le monde»
REACTIONS•Les acquittés d’Outreau la jugent insignifiante, la défense du magistrat n'accepte pas cette «décision de compromis»...J.M. avec agence
Epilogue, trois ans après le fiasco judiciaire d'Outreau: le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a infligé au juge Fabrice Burgaud une «réprimande avec inscription au dossier», la sanction la plus basse parmi une échelle de neuf possibles. Une décision qui ne satisfait personne.
«Fabrice Burgaud est profondément déçu», a rapporté Patrick Maisonneuve, avocat du magistrat. «On ne pouvait que retenir l'absence de manquement et de faute professionnelle mais il y a eu injonction politique (...). C'est une décision de compromis que nous n'acceptons pas», a-t-il ajouté. Il a rappelé que «le président de la République s'est encore prononcé il y a quelques jours sur la responsabilité des magistrats. Si vous n'appelez pas cela une pression, les mots n'ont plus de sens».
«Au delà du sort personnel de Fabrice Burgaud, bouc émissaire idéal de tous les dysfonctionnements de la justice, l'Union syndicale des magistrats (USM) ne peut que regretter que les réformes préconisées par la Commission d'enquête parlementaire, pour éviter que ce genre d'affaire ne se renouvelle, soient ignorées», écrit le syndicat. Selon les magistrats, «l'annonce par le président de la République de la suppression du juge d'instruction laisse même présager la mise à néant des principales conclusions de cette commission», mise sur pied après l'épilogue judiciaire d'Outreau, qui s'était traduit par l'acquittement de 13 des 17 accusés.
«L'Inspection générale qui n'est pourtant pas réputée pour sa tendresse concluait à l'absence de faute imputable à M. Burgaud», a renchéri le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), en soulignant que la procédure disciplinaire décidée par la Chancellerie était «la mauvaise réponse à un vrai problème». «On n'est pas là pour juger la décision du CSM mais le désastre d'Outreau imposait de réformer de manière profonde et intelligente la procédure pénale», a ajouté le secrétaire général Matthieu Bonduelle.
«La réprimande est une fausse sanction destinée à répondre à la pression de l'opinion publique. Je suis inquiète parce que s'il instruit d'autres dossiers, des innocents risquent encore de finir dans les geôles de la République», a déclaré pour sa part Roselyne Godard, une acquittée du procès, en dénonçant le «corporatisme des magistrats qui s'autoprotègent». Pour elle, «la sanction la plus utile aurait été de le contraindre à proférer des excuses».v
«La sanction est ridicule. Tout cela est très décevant. Cela fait vraiment le maître d'école qui réprimande son élève», a déploré Frank Berton, l'avocat de plusieurs acquittés. Il estime que pour ses clients, «cela veut dire: "Il n'y a rien, il n'y a pas de soucis, pas de problèmes, circulez; allez, une petite réprimande"». «Tant que l'on n'aura pas mis en France un principe de responsabilité des magistrats, on arrivera à ce genre de décision qui n'a aucun sens, aucune réalité. C'est l'illustration d'un corporatisme ancestral. Il faut retirer aux magistrats le pouvoir de juger les magistrats», a-t-il plaidé.
Critiquant «la justice qui juge la justice», Eric Dupond-Moretti, également avocat de plusieurs acquittés, estime que c’est la justice en tant qu’«administration» qui a triomphé, pas la justice en tant que «vertu». «En terme d'opinion publique, c'est dramatique parce que si vous avez un avertissement pour le plus grand fiasco judicaire de ces dernières décennies, alors tout est permis», a encore estimé l'avocat. «La boucle est bouclée, sauf pour (François) Mourmand», accusé qui est mort en prison en juin 2002, a-t-il souligné, en précisant que sa veuve n'avait toujours pas été indemnisée malgré des engagements en ce sens au plus haut niveau de l'Etat.
L'ancien président de la commission d'enquête parlementaire sur le fiasco judiciaire d'Outreau, André Vallini (PS), a résumé la situation en estimant que la «sanction infligée au juge Burgaud» allait «mécontenter tout le monde». Pour lui, «il est temps maintenant de tourner cette page et de mettre enfin en oeuvre les préconisations de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau: une réforme globale de la justice et une augmentation de ses moyens budgétaires».