Les infirmiers en mal de reconnaissance
INTERVIEW•Thierry Amouroux, le président du Syndicat national des Personnels infirmiers (Snpi), dresse un état des lieux du monde infirmier...Propos recueillis par Emilie Gavoille
Plus de 100.000 postes d'infirmiers seront à pourvoir d'ici à cinq ans. C'est une des annonces faites mardi par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot, dans le cadre d'une campagne visant à revaloriser certains métiers de la santé. Il n'est cependant pas certain que les postes soient pourvus, alors que le secteur est déjà confronté à de graves problèmes de recrutement, dus notamment, pour Thierry Amouroux, président du Syndicat national des Personnels infirmiers (Snpi), à un grave problème de reconnaissance.
Quel sont les problèmes auxquels sont confrontés les infirmiers aujourd'hui?
Le principal problème pour les infirmiers est celui du manque de reconnaissance, à différents niveaux. Tout d'abord sur la question de la formation. Les infirmiers suivent un cursus de 38 mois après le bac (plus de trois ans), mais le diplôme d'Etat n'est reconnu qu'à niveau bac +2. Ce n'est pas suffisant. Des négociations doivent avoir lieu, pour harmoniser le cursus avec le système LMD (Licence-Master-Doctorat).
Il y a également un problème de rémunération. Et pour l'heure, aucune revalorisation salariale n'a été annoncée par la ministre de la Santé. Dans le secteur public, une infirmière en début de carrière est payée 1.500 euros net; à la veille de la retraite, son salaire culmine à 2.200 euros. C'est ridicule et disproportionné. Pour un jour de RTT, un médecin est payé 300 euros, une infirmière 80 euros et un ouvrier en milieu hospitalier 60 euros. Il faudrait revoir l'échelle des salaires.
Au sein même des hôpitaux, on ne reconnaît pas assez la logique soignante. Il y a eu un début d'évolution, avec la prise en charge de la douleur. Avant, on n'écoutait que la logique médicale, qui consistait à dire «la douleur est un symptôme qui permet de traiter la pathologie», et donc on laissait le malade souffrir. Les infirmiers ont fait beaucoup pour que ça change.
Quelles sont les conditions de travail?
Le métier a toujours été très dur, physiquement, psychologiquement. Aujourd'hui, la logique du rendement prime sur l'aspect humain. Mais on ne peut pas tout quantifier, la durée de la toilette, le temps technique d'une injection, ça ne se passe pas comme ça. On frappe à la porte, on dit bonjour...
La charge de travail en milieu hospitalier a beaucoup augmenté ces dernières années. Paradoxalement, c'est lié à une avancée. Avec le développement des soins à domicile, des hôpitaux de jour, les patients qui sont hospitalisés le sont pour des raisons plus graves, donc ils nécessitent davantage d'attention. Mais il y a de moins en moins de personnels infirmiers, donc les gens travaillent plus, dans de moins bonnes conditions.
Il faut savoir que l'espérance de vie d'une infirmière qui a travaillé au moins quinze ans en milieu hospitalier est inférieure de sept ans à la moyenne des autres femmes. La pénibilité du travail n'est pas assez prise en compte.
Beaucoup d'infirmiers changent de métier au cours de leur vie?
Beaucoup naviguent entre le service public hospitalier, le privé et le libéral. Ils commencent généralement dans les hôpitaux, puis font autre chose. C'est une constante, il n'y a pas de fuite vers le libéral et le privé. En revanche, de plus en plus de jeunes diplômés arrêtent au bout de quelques années, pour faire autre chose, et se réorientent complètement. C'est-à-dire, que pendant trois ans, on forme des gens qui ne vont travailler que quelques années. C'est complètement contre-productif. Et c'est pour cela qu'il est urgent d'agir, pour restaurer l'image que les jeunes ont de la profession.
D'autant qu'on va être très rapidement confrontés à un problème d'effectifs et de transmission des savoirs. 55% des infirmiers en milieu hospitalier vont partir à la retraite dans les cinq ans, et les 45% restant sont pour la plupart de jeunes diplômés. Traditionnellement, les anciens épaulent les nouveaux, il y a une continuité dans l'apprentissage après la sortie de l'école, une transmission. La question des effectifs aurait du être abordée plus tôt, elle se pose depuis plusieurs années, puisqu'aujourd'hui on manque déja de postes. Rien qu'en région parisienne, il faudrait 3.700 infirmiers de plus, en milieu hospitalier.