Le test ADN viole le principe de la famille française
ANALYSE•De nombreux spécialistes reprochent à Thierry Mariani de réviser cette notion au cœur des débats…L’amendement déposé par Thierry Mariani (UMP), qui autorise le recours à l’ADN pour vérifier la filiation d'un candidat au regroupement familial, remet-il en cause la définition de la famille en France ? Oui, selon de nombreux scientifiques et historiens qui reprochent au député de réviser cette notion au cœur des débats.
La famille au-delà des liens du sang
«On demande aux familles étrangères, à peau noire ou basanée, d'être une vraie famille par le sang, or la vraie famille ne l'est pas tout le temps par le sang, il y a de nombreuses exceptions!», s'insurge le généticien Axel Kahn. Il rappelle que la France «a décidé en 1994, au terme d'un débat exemplaire, que la définition de la famille ne pouvait pas être réduite à sa composante biologique et depuis ce texte n'a jamais été remis en cause».
L’adoption en est l’exemple le plus parlant. «On ne vérifie pas que le père est biologiquement le géniteur pour lui faire endosser le rôle et le titre de père. Le père est celui qui est marié avec la mère ou celui qui reconnaît l'enfant et en assume la responsabilité. Point, renchérit Jacqueline Rémy sur son blog. La volonté de constituer une famille prime sur la réalité biologique. On sait qu'une proportion assez conséquente d'enfants ne sont pas les enfants biologiques de leur père. La famille est une construction affective, sociale et juridique.»
Deux poids deux mesures
Un point de vue partagé par la Fédération internationale des droit de l’homme. «La France interdit, en effet, hors décision de Justice ou besoins médicaux, de procéder à de tels tests tout simplement parce qu’elle considère, à juste titre, que la définition de la famille ne se borne pas au lien biologique, souligne l’association. Imposer aux étrangers, ayant le droit de s’établir en France pour tout simplement vivre une vie de famille normale, un test ADN, c’est non seulement renforcer l’arbitraire mais c’est admettre que les étrangers et leurs familles n’ont pas les mêmes droits fondamentaux que les Français.»
«Il y a deux poids, deux mesures. Ce n'est pas cohérent quand au même moment Nicolas Sarkozy demande à son gouvernement de plancher sur un statut du beau-parent et sur les droits de succession pour les couples pacsés», insiste Jeanne Fagnani, spécialiste des politiques familiales. «Ce qui serait vrai d'un côté de la frontière ne le serait pas de l'autre?», s'étonne la directrice de recherche au CNRS, pour qui «le gouvernement vise sans le dire les familles africaines qui vivent souvent en familles élargies».
Révélations embarrassantes
«Il n'est pas exclu qu'il y ait des recompositions familiales dans le but d'organiser une migration mais il faut voir combien de personnes cela représente», nuance Patrick Weil, historien et spécialiste de l'immigration. En 2005, près de 23.000 titres de séjours ont été délivrés au titre du regroupement familial, dont environ 9.000 pour des enfants: «les fraudes ne concernent que quelques dizaines ou centaines d'enfants» venus d'Afrique, dit-il, reconnaissant que les tests pourront débloquer certaines situations, «pour éviter que le consulat de France ne bloque ad vitam aeternam une demande».
En l'état actuel, le projet examiné mardi à l'Assemblée «est une fausse bonne idée qui présente deux inconvénients majeurs: le coût est le premier obstacle, et le bazar humain que cela peut provoquer si un père découvre qu'il n'est pas le père d'un de ses enfants...», explique Hélène Poivey-Leclercq, avocate spécialiste en droit de la famille.
En France, «3 à 8% des enfants ne sont pas ceux de leur père légal», fait valoir Axel Kahn, qui parle d'une «grenade dégoupillée qui risque d'exploser au sein de la famille».