Réhabilitation de Pétain par Zemmour: «absurde et faux» selon des historiens

Réhabilitation de Pétain par Zemmour: «absurde et faux» selon des historiens

"Absurde et faux": le jugement d'historiens interrogés par l'AFP ...
© 2014 AFP

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«Absurde et faux»: le jugement d'historiens interrogés par l'AFP est sans appel sur la thèse d'Eric Zemmour selon laquelle Pétain et le régime de Vichy auraient sauvé des juifs en France en sacrifiant «les juifs étrangers pour sauver les juifs français».

«Cette thèse, qui n'est pas nouvelle, est extrêmement réductrice et parce qu'elle est réductrice, elle est fausse», estime André Kaspi, historien spécialiste de la Déportation. «Elle recèle une part de vérité mais est incomplète par rapport à la vérité historique, ce qui la rend fausse», poursuit-il.

Dans son livre «Le suicide français» (Albin Michel), le journaliste et polémiste, qui se définit comme un juif d'origine berbère, consacre sept pages au régime de Vichy, qui ne serait pas totalement condamnable en ayant permis de sauver des juifs en France grâce à «la stratégie adoptée par Pétain et Laval face aux demandes allemandes: sacrifier des juifs étrangers pour sauver des juifs français».

«C'est en partie vrai et en partie faux. Vrai parce que les juifs français n'ont pas été immédiatement inquiétés. Jusqu'en 42, ils ont pu survivre en zone libre», détaille André Kaspi. «Faux, parce que des juifs français ont été déportés en 42. Le régime de Vichy a pratiqué deux recensements des juifs. C'est particulièrement criminel, cela a permis leur arrestation et leur déportation», dit-il.

Pour cet historien, le régime de Vichy en acceptant de déporter des juifs étrangers «a ouvert la porte» à celle des juifs français.

- 'La population responsable du sauvetage des juifs'-

André Kaspi rappelle que les lois antijuives ont été édictées en 1940 par Vichy, et ont fait des juifs français des «citoyens de seconde zone».

Les juifs français de la zone libre, poursuit-il, n'avaient pas d'étoile jaune mais un tampon «juif» apposé sur leur carte d'identité.

Il relève en outre que nombre de juifs français ont été dénaturalisés, accroissant ainsi le nombre de juifs étrangers.

En 1940, il y avait, selon les historiens, quelque 340.000 juifs en France dont environ 150.000 étrangers. Quelque 76.000, dont 25.000 Français, ont été déportés.

Pour André Kaspi, la thèse de Zemmour est «une déformation de la réalité» car «c'est la population qui a été responsable du sauvetage de juifs et non pas le régime de Pétain».

Laurent Joly, spécialiste de la Seconde guerre mondiale et de l'antisémitisme, brocarde lui aussi les écrits du journaliste.

«Absurde et faux». «C'est très démagogique de dire comme Zemmour qu'avant Robert Paxton, les historiens avaient une vision juste et nuancée» sur cette période. Or, ajoute-t-il, «fin des années 50, début des années 60, les thèses de Paxton existaient».

Eric Zemmour s'attaque dans son livre à Paxton qui, écrit-il, «jugeait que l'antisémitisme d'Etat de Vichy avait précédé, favorisé, décuplé l'extermination nazie».

L'historien américain Robert Paxton publia en 1972 un ouvrage «La France de Vichy» dans lequel il expliquait combien le régime de Vichy avait été «coupable et responsable» de la déportation des juifs de France.

Les présidents Jacques Chirac, en 1995, et François Hollande, en 2012, ont sans ambiguïté reconnu la responsabilité de «l'Etat français» au travers du régime de Vichy dans la déportation des juifs.

«La collaboration n'était pas une politique de sauvetage des juifs», insiste Laurent Joly.

- 'Légitimation intellectuelle'-

«Zemmour, dit M. Joly, reprend un argument des défenseurs de Vichy» et fait «sienne la justification qu'avait utilisée Pétain lors d'un Conseil des ministres, fin juin 42, selon laquelle la distinction entre les juifs (français et étrangers) serait admise par l'opinion publique».

L'historien rappelle qu'en 1943 une nouvelle rafle, après celle du Vel d'Hiv de juillet 1942, avait été envisagée par les Allemands. Mais là, face au refus de Vichy d'y participer, les Allemands avaient renoncé. «Les Allemands ne pouvaient pas faire cette nouvelle rafle sans la police de Vichy. Ce qui montre que si Vichy avait dit non en 42, les Allemands n'auraient pas pu faire» celle du Vel d'Hiv. «C'est incontestable», dit-il.

Laurent Joly juge «hallucinant» qu'Eric Zemmour soit «dans une légitimation intellectuelle d'une thèse qui n'a pas d'audience, tellement elle est incongrue».

Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS et membre du conseil scientifique du mémorial de la Shoah, ne veut pas batailler sur le terrain historique avec le journaliste qui fait, selon lui, de très «nombreuses erreurs» dans ce domaine.

«Il n'y a rien de neuf dans cette thèse très traditionnelle destinée à justifier et réhabiliter Pétain. Ce n'est en rien une hypothèse historique», dit-il.

Il explique que le propos du polémiste «correspond à un mouvement culturel très réactionnaire qui passe par la réappropriation d'un discours pétainiste -travail, famille, patrie - et la dénonciation de ceux qui sont considérés comme responsables de la crise».

Il s'agit des «immigrés pour Zemmour», comme, rappelle M. Peschanski, l'étaient «les juifs , les communistes, les étrangers et les francs-maçons» dans les années trente.

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