Présidentielle: Ce premier débat «peut être le point culminant de la campagne»
INTERVIEW•Anne-Claire Ruel, spécialiste en communication politique, explique les enjeux de cette première confrontation organisée ce lundi entre cinq candidats…Propos recueillis par Olivier Philippe-Viela
C’est le premier grand débat de l’élection présidentielle qui se déroulera ce lundi dès 21h sur TF1 et LCI. Mais tous les candidats n’auront pas la parole : seuls François Fillon, Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont été conviés pour cette fois-ci. Une première. Enseignante en communication politique à l’université Paris-XIII et consultante en média training, Anne-Claire Ruel explique à 20 Minutes les particularités et les enjeux de ce rendez-vous télévisé d’un genre inédit.
Après les débats des primaires, en quoi cet exercice est nouveau en France ?
C’est bien totalement inédit. Nous aurons cinq candidats officiels réunis en plateau, Marine Le Pen qui se fait rare en débat, qui plus est à côté de Jean-Luc Mélenchon, et en termes de mise en scène, des politiques en cercle autour des journalistes, ce qui change des primaires. Il y a plusieurs points nouveaux dans ce format qui lui confèrent un caractère exceptionnel. C’est un moment entre sacré et profane. Ce genre de soirée s’apparente à un rituel : tout le monde va se retrouver dans une communion politique, le fondement de la République est réactivé.
Quelle place occupe ce débat du 20 mars dans la campagne ?
Je pense que ça peut être son point culminant. On dit toujours qu’une émission politique ne fait pas l’élection. Il y a bien sûr le travail de terrain et les réseaux sociaux. Mais la télévision reste LE média de masse. Les Français sont pour le moment en quelque sorte privés de cette présidentielle, de par l’explosion des affaires. En réaction, il va probablement y avoir un très fort prisme sur cette soirée électorale avec des scores d’audience phénoménaux.
Il y a actuellement un important taux d’abstention envisagé par les sondages [30 % selon le Cevipof]. Beaucoup d’électeurs ont besoin de clarification, de sujets de fond, de thèmes qui parlent aux Français. Il y aura un avant/après débat, ce sera déterminant.
Marine Le Pen balaye le sujet d’un revers de la main en disant que ce n’est pas très important et qu’elle s’entraînera peut-être ce week-end, mais elle ne le pense évidemment pas. Tous les candidats s’y préparent avec acharnement car ils savent que l’émission polarisera l’attention. François Fillon répète avec des doublures de Macron et Le Pen, et il sait qu’il va être attaqué de toutes parts. Emmanuel Macron, lui-même, est conscient qu’un faux pas peut lui coûter la présidentielle.
Comment tirer son épingle du jeu dans ce format en trois parties (société/économie/international) de 50 minutes chacune ?
C’est une épreuve très longue, un marathon. L’enjeu pour les candidats est d’appuyer sur quelques thématiques, car ils ne pourront pas s’exprimer sur tout. Il faut faire passer au moins un ou deux messages que les Français retiendront. Prenons l’exemple de Benoît Hamon : lors de la primaire de gauche, il avait réussi à glisser son idée de revenu universel, et tous les autres avaient dû se positionner par rapport à cette proposition. Celui qui l’emportera sera celui qui imposera son thème.
C’est justement l’occasion pour Benoît Hamon d’être plus audible dans cette campagne ?
Il joue la stratégie de l’outsider. Il va falloir qu’il clive, qu’il essaye d’aller sur les plates-bandes de Jean-Luc Mélenchon pour séduire la gauche de la gauche, et surtout qu’il montre qu’il a une stature présidentielle, ce qui lui manque. Son staff a d’ailleurs compris qu’il fallait lui forger une carapace de chef d’Etat.
Qu’est-ce que l’émission peut apporter à Marine Le Pen ?
Marine Le Pen est un animal politique, dans le sens où elle débat comme elle monte sur un ring de boxe, toujours dans la confrontation. Elle est dans la position la plus facile car son programme consiste à être contre tout ce qui se fait actuellement.
De plus, elle a l’avantage d’être la seule femme. Or, on ne s’adresse pas à une femme comme on débat avec un homme. Il peut y avoir plus de retenue envers elle qu’envers Emmanuel Macron ou François Fillon. En termes de communication, les adversaires de Marine Le Pen doivent trouver le bon registre et éviter d’être agressifs. De son côté, elle va en jouer à fond, comme elle a joué la carte féminine depuis le début de sa campagne.
Emmanuel Macron, favori des sondages, a-t-il tout à perdre ?
Il n’a pas encore fait une seule émission de débat type On n’est pas couché ou L’Emission politique. On ne sait pas encore ce qu’il vaut dans ce cadre-là. Emmanuel Macron est attendu car il est un objet de communication non identifié, aux contours flous et à l’électorat volatil : à la moindre erreur, tout le monde va lui tomber dessus. Mais il a également la possibilité de concrétiser les promesses des sondages.
Ce format de réponses en 2 minutes favorise qui ?
Il y a une prime aux tribuns. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen sont bons dans ce style. Mais la politique à la télévision reste de la télévision, c’est très formaté. En média training, sur 1 minute 30 à 2 minutes, c’est toujours la même chose : j’affirme, j’illustre. J’arrive avec ma conclusion, et j’illustre avec un ou deux exemples très courts et concrets. Cela limite certaines personnalités particulières, comme un Mélenchon qui peut se sentir à l’étroit dans un temps aussi court. C’est le jeu médiatique.
Quelle image l’absence des autres candidats renvoie-t-elle ?
Il y a un plafond de verre médiatique évident qui peut alimenter la suspicion envers les médias. Dans un contexte de défiance totale, certains peuvent se dire qu’on leur donne seulement les candidats « validés » par le Conseil d’Etat [ Nicolas Dupont-Aignan a été débouté de sa demande pour participer] et les journalistes. De manière indirecte, on nourrit la sphère complotiste, et en ce moment, nous n’avons pas vraiment besoin de ça.