Présidentielle: Duel au revolver devant Whirlpool, on vous raconte la folle journée de Macron et Le Pen à Amiens
REPORTAGE•Les deux candidats se sont affrontés à distance très rapprochée en Picardie…Julien Laloye
L'essentiel
- Marine Le Pen a effectué une visite surprise à l’usine Whirlpool d’Amiens pendant qu’Emmanuel Macron dialoguait avec les syndicats en ville
- Le candidat d’En Marche ! lui a répondu en allant sur le terrain dans la foulée
De notre envoyé spécial à Amiens (Picardie),
Pour qui se plaignait d’une campagne de deuxième tour fadasse, il faut dire les choses comme elles sont : ce mercredi a marqué une accélération prodigieuse, un duel à l’ancienne comme on n’en fait plus. C’était « Il était une fois en Picardie » de Sergio Leone, du bon gros western de qualité, featuring Marine Le Pen et Emmanuel Macron. On vous récapitule cette folle journée amiénoise dans l’ordre et sans rien oublier, tout est savoureux.
A 10 h devant l’usine Whirlpool
La triste histoire de l’entreprise résumée en quelques lignes, telle qu’on les lit trop souvent. Une grosse boîte étrangère présente depuis toujours qui décide d’aller voir là où le salarié est payé trois fois moins cher, ici, en Pologne. Des ouvriers sur le carreau dans un an, presque 700 si on compte les intérimaires et les sous-traitants, et aucune perspective de reprise sérieuse. Voilà pour le décor. Trois mois que les gars débraient à tour de rôle, sans jamais bloquer l’usine. Ce matin, ils sont une bonne quarantaine à zoner devant le parking. Tous savent que Macron vient voir l’intersyndicale en centre-ville. Tous savent aussi qu’il n’a pas prévu de venir à l’usine. C’est un concours de bonnes blagues.
aDavid, 19 ans d’expérience à la logistique. « Il a pas le GPS dans sa voiture ou quoi ? ». Roger, 25 ans de turbin au même poste : « Il veut pas serrer la main aux pauvres, il va se salir ». Puis une deuxième pour la route : « Il a peur de venir voir les illettrés l’autre mannequin ? ». José est un peu plus discret. C’est le seul de la bande qui ne votera pas FN. « Eux au moins ils montrent qu’ils nous soutiennent », reprend Roger. Il nous fait signe d’aller sous la tente. Sylvie Chopin y distribue les croissants, avec les copains. Les copains ont un tract à la main, bizarre. En fait, Sylvie est conseillère municipale du Front National dans la région. Ça fait 5/6 fois qu’elle vient avec d’autres pour «témoigner sa solidarité avec des gens victimes de l’Europe. C’est pas normal ce qu’on leur fait subir ». En face, une salariée abonde. « Marine, elle s’occupe de nous. Macron de toute façon il n’a rien à nous dire, il nous prend pour des illettrés ». Le reproche revient souvent.
A midi, devant la chambre de commerce d’industrie
Emmanuel Macron et l’intersyndicale sont réunis dans une des salles principales de la CCI, comme prévu. Rien ne filtre. Pour tuer le temps, on va causer à une jeune fille qui a osé sortir de chez elle avec un tee-shirt rose « Macron président ». Bon, elle ne risquait pas non plus une ratonnade. A Amiens, où il a passé les seize premières années de sa vie et où la famille de son épouse, BrigitteTrogneux, tient encore les meilleures chocolateries de la ville, le candidat d’En Marche ! est arrivé en tête au premier tour. Anaïs est venue avec sa mère, Betty. Betty a longtemps travaillé chez Whirlpool, à l’accueil. Elle aimerait que Macron fasse en sorte que l’entreprise ne délocalise pas sa production.« On sait qu’il va tout faire pour sauver les emplois ».
François Ruffin ne recherche rien d’autre, si ce n’est quelques voix pour les législatives, ça ne fait de mal à personne. Le journaliste et candidat de la France Insoumise, qui a suivi ses études dans le même lycée que Macron,avait violemment interpellé le candidat lors de l’émission Politique sur France 2. C’est un peu grâce à lui que l’ancien ministre de l’Economie a finalement décidé de s’emparer du dossier des Whirlpool, mais ça ne lui suffit pas.
« Ça devrait être naturel d’aller voir les ouvriers, s’il n’arrive pas à le faire en campagne électorale, il le fera quand ? La politique, ce n’est pas juste tomber d’accord et se faire des bisous. Je ne pense pas qu’il aurait été reçu avec des cannettes ». De la rencontre avec les représentants syndicaux, il attend une prise de position claire : « Macron doit se positionner en ennemi de la finance ». Une petite voix perfide dans notre subconscient : autant demander à Trump de dire du bien des Mexicains.
A 13h, le hold-up de Marine Le Pen
Pendant qu’Emmanuel Macron ferraille avec les syndicats à huis clos, son adversaire s’offre un coup médiatique aussi démago que réussi. Marine Le Pen, qui n’avait rien prévu dans la région, se pointe sans prévenir sur le parking, et on croirait Dieu venu guérir les écrouelles. Un selfie par ici, une bise par là, et des promesses qui ne coûtent rien : « Avec moi l’usine ne fermera pas, continuez à vous battre, je suis fière de vous voir réunis pour sauver vos emplois », en substance. Une petite déclaration à BFMTV avant de partir : « Je suis là au côté de salariés, sur le parking, pas dans des restaurants amiénois ». Ça n’a pas duré un quart d’heure, mais l’effet est redoutable, comme si la foule avait bu un élixir magique.
Murielle a encore les yeux qui brillent : « J’ai pris un selfie avec elle, elle m’a encouragé, ça m’a fait du bien. Je sais pour qui je voterai au second tour. Attention, chacun ses opinions, et tout le monde n’est pas d’accord avec moi, mais en tant qu’Amiénois de souche, vous ne m’enlèverez pas de la tête que c’était à Macron de venir en premier ». Christophe, un collègue : « Macron, on n’y croit pas, il vient du même bol à cornichons que François Hollande ». Coup de théâtre annoncé au mégaphone. Finalement, Macron passera à la fin de la réunion. Réactions moqueuses autour du stand à hot-dog, un euro pièce, deux avec la bière bien fraîche. « On l’intéresse pas, il vient juste se montrer parce que Marine est venue avant lui ».
A 15h, Macron arrive sous les sifflets
Assiégé par les caméras, le candidat d’En Marche met un temps fou à parcourir la centaine de mètre qui le sépare du gros des troupes. Ça crie, ça hurle, ça s’insulte, ça sent le pneu brûlé et le graillon, bref, Macron va entendre parler du pays. Son équipe tente de déminer comme elle peut, y compris Laurence Haïm, qui doit se demander pourquoi elle n’est pas restée pépouze aux States avec ses chats et son Barack. « Emmanuel Macron voulait dialoguer avec sérénité avant de voir les salariés. Mais il ne vient pas sous la pression de Marine Le Pen, il l’a proposé avant de savoir qu’elle arrivait ». Ludovic Creusé, un délégué syndical présent à la CCI, confirme : «On a parlé de l’opportunité de venir sur le site dès les premières minutes de conversation. C’est moi qui l’ait ensuite averti de l’arrivée de Marine Le Pen à Whirlpool, j’ai reçu un texto de ma femme qui était surplace ».
Le genre de détails dont ne s’embarrassent pas la plupart des ouvriers, remontés comme des coucous suisses. Macron est hué, sifflé, chahuté et le plateau d’Envoyé spécial menace de s’écrouler. Les grandes gueules du matin ne se démontent pas : « Fais gaffe à pas salir ton costard Macron ». « T’es venu voir la télé ou t’es venu nous parler ? ». Elise Lucet fume des oreilles en voyant son plateau servir d’estrade provisoire aux caméras. Les militants du FN ont déguerpi depuis longtemps, rameutés par le chef au sifflet.
A 16h, le corps à corps avec les salariés… et un départ moins mouvementé
Il a mis le temps, mais Macron finit par pénétrer dans le parking fermé pour entamer « un dialogue constructif et serein » avec les Whirlpool qui sont volontaires. On rigole pour le « constructif et serein », mais ce n’est pas l’insurrection non plus. Personne n’arrache la chemise de personne. Le favori du deuxième tour se chauffe un peu la voix, deux « pardon de vous le dire » en préambule, et le fauve est lâché. Extraits :
« « J’ai tenu à rencontrer l’intersyndicale avant de venir ici parce que vos représentants font un travail remarquable. Vous ne trouverez pas chez moi le comportement clientéliste de Marine Le Pen, mais c’est si c’est ce que vous voulez, allez-y. Moi, je ne suis pas venu pour faire des selfies, mais pour trouver des solutions ». «. Les engagements que je prends, c’est de veiller à ce que le plan social proposé par la direction soit à la hauteur de vos attentes, et c’est de choisir un repreneur qui propose un vrai plan industriel. Je ne suis pas là pour faire des promesses intenables, je ne l’ai jamais fait ». « Je défends les entreprises, parce que sans elles, on ne crée pas d’emplois. C’est faux de dire qu’on peut interdire les délocalisations et que la solution c’est de fermer les frontières, ceux qui disent ça vous mentent. Whirlpool remboursera les aides qu’il a touchés de la part de l’Etat ». »
L’ambiance retombe un peu, sans pour autant témoigner d’une adhésion au discours d’Emmanuel Macron. François Ruffin, qui s’est faufilé entre les grilles, tente de rejouer le match de France 2. « Vous êtes face aux vaincus de la mondialisation, ici, ce n’est pas la peine de leur faire croire que la France va bien ». « Interdire de verser des dividendes ou interdire à une entreprise de fermer un site, c’est quelque chose qui n’est pas possible. Si je fais ça, demain plus personne ne viendra investir en France ». Un dernier mot sur la formation des chômeurs, et le cortège du candidat reprend la route pour Arras. Pas de sifflets, mais pas de standing ovation non plus, soyons clairs.. On attrape Farid au passage, plutôt pondéré.
« On ne s’attendait pas à un truc pareil. Mais je vais vous dire, j’ai préféré l’attitude de Macron. Quand j’ai vu Marine Le Pen arriver et nous dire qu’elle sauverait nos emplois, je suis parti direct. C’est de la récupération politique. Macron, il a plus de chances d’être élu quand même. J’espère qu’il mettra la pression pour qu’on ait un bon plan de départ. Après, c’est chacun pour soi. Mais c’est sûr que certains auront du mal à se recaser, on ne va pas se mentir ».
Un énième coup de klaxon derrière nous. Tout le monde rentre chez lui, un peu lessivé par la journée et fatigué des journalistes. A part un ado qui fait le malin par la fenêtre : «Rentre chez toi le banquier, on ne veut pas de toi ici. C’est Marine Le Pen qui va gagner ». A chaud et à Whirlpool, difficile de le contredire.