Anniversaire du traité de Maastricht: «On n'avait pas prévu la possibilité qu'un pays quitte la zone euro»
INTERVIEW•Céline Antonin, économiste à l'OFCE et spécialiste de la zone euro, décrypte le bilan et l’héritage du traité fondateur de l’union économique et monétaire européenne à l'occasion du 20e anniversaire de sa signature...Propos recueillis par Claire Planchard
Peut-on dire que le traité de Maastricht est en partie responsable de la crise actuelle?
Le traité de Maastricht prévoyait une politique monétaire commune, mais laissait à chaque pays les soins de sa politique budgétaire, avec quelques critères de convergence à respecter. D'évidence, ces quelques critères (notamment les seuils de 3% du PIB pour les déficits et 60% du PIB pour la dette) ne suffisaient pas, d'autant qu'ils n'ont rapidement pas été respectés par certains pays. Au moment de son entrée dans l'euro, la Grèce avait une dette de 100% de son PIB! En outre, la fixation de ces seuils était fondée sur des hypothèses de croissance et d’inflation qui ne correspondaient pas du tout à des périodes de crise. Et en plus, à partir de 2005, les Etats ont décidé qu’ils pourraient échapper à une procédure de déficit excessif s’ils entraient en récession. Aujourd’hui, la politique monétaire étant commune au sein de la zone euro, une politique budgétaire appuyée sur quelques critères de convergence ne suffit plus et leur force coercitive n’est pas non plus suffisante. C’est pour cela que les Etats de l’UE se rendent compte qu’il faut aujourd’hui créer un véritable gouvernement budgétaire européen et inscrire le retour à l’équilibre budgétaire de façon contraignante dans la constitution.
Le traité de Maastricht n’avait pas non plus prévu un scénario comme celui de la Grèce?
Oui, le traité de Maastricht est né dans une perspective très europhile et dans un contexte de croissance: on n’avait pas évoqué le cas où un pays aurait de graves difficultés. En fait, on n’avait pas prévu la possibilité qu’un pays quitte la zone euro! Aujourd’hui, face à la crise, on se rend compte que ça ne fonctionne pas en l’état et qu’il faut une politique budgétaire plus intégrée et une solidarité budgétaire plus forte. Mais il faut bien comprendre qu’à l’époque, pour accepter d’abandonner leur monnaie et leur politique monétaire, il était important pour les pays que le contrôle de la politique budgétaire reste du ressort de leur souveraineté nationale. Un pays comme l’Allemagne n’aurait sans doute pas accepté d’abandonner sa monnaie si elle devait au passage perdre le contrôle de sa politique budgétaire…
Il y a aussi beaucoup de débat sur la définition du rôle de la BCE dans le traité de Maastricht qui l’empêche aujourd’hui de venir au secours des pays endettés...
Oui, c’est un héritage de la Bundesbank, la banque centrale allemande. A partir des années 90, pour éviter d’alimenter l’inflation, les Etats se sont dotés de banques centrales indépendantes dont le but unique était la stabilité des prix et non plus la croissance et l’emploi. Au moment de la création de la BCE, son unique mandat a donc été la lutte contre l’inflation. Du coup, il lui a été interdit de monétiser les déficits des Etats européens c'est-à-dire d’aller acheter directement des titres de dette sur le marché primaire. Elle peut le faire sur le marché secondaire (celui où les investisseurs échangent les titres qu’ils détiennent) et a récemment acheté des obligations italiennes ou espagnoles mais pour des montants assez limités. Une des solutions pour relâcher la pression sur les taux obligataires serait que la BCE devienne préteuse en dernier ressort, mais la constitution allemande l’interdit. Pour y parvenir, il faudrait que l’Allemagne accepte de modifier sa loi fondamentale…
Reste-t-il encore quelque chose du traité de Maastricht après les modifications apportées aux derniers sommets européens?
Les pays de la zone euro se sont de facto éloignés des principes de bases (les objectifs de 3% et 60%), en partie à cause de la crise de 2008, parce que les Etats ont mené des politiques de relance et accru leur déficit. Donc sur cet aspect-là, le traité est quelque peu caduc. Pour les Etats socles de la zone euro ce qui compte aujourd’hui c’est d'aller plus loin que Maastricht en inscrivant la règle d’or budgétaire dans leur Constitution, c'est-à-dire se fixer comme objectif de moyen terme le retour à l'équilibre budgétaire. En revanche, pour toutes les nouvelles adhésions à la zone euro, les critères de convergence sont toujours en vigueur