Taxe Tobin: un sujet de controverse
La taxe Tobin fait régulièrement son apparition dans le débat public. Mais elle n'a jamais été mise en œuvre, les économistes ayant du mal à s'accorder sur son efficacité.Jocelyn Jovène
La taxe Tobin est née dans les années 70. Elle a été présentée par son auteur, James Tobin, comme "un grain de sable" dans les rouages de la finance internationale, destiné à éviter que les flux financiers internationaux ne soient une source d'instabilité pour l'économie. Mais l'idée, souvent considérée avec intérêt par de nombreux politiques, n'a jamais été mise en pratique à l'échelle internationale.
Divergences de vues
Le débat sur la taxe Tobin a été relancé de manière inattendue à la fin de l'été. Le mois dernier, Adair Turner, patron du régulateur financier britannique (FSA) affirmait tout l'intérêt d'instaurer une taxe Tobin sur les transactions financières, afin de peser sur les rémunérations excessives dans la finance. De son point de vue, la finance a pris trop de poids dans l'économie britannique, sans que son intérêt social soit totalement avéré…
La presse anglophone a spéculé sur le fait que l'administration Obama étudierait avec attention la proposition. Larry Summers, principal conseiller économique du président américain, serait un chaud partisan de la taxe Tobin, et ce de longue date. Dans un article coécrit en 1989 avec son épouse, intitulé "When Financial Markets Work too Well: a Cautious Case for a Securities Transaction Tax", il estimait qu'une taxe "aurait des effets bénéfiques en réduisant l'instabilité introduite par la spéculation".
A l'approche du G20 de Pittsburgh, qui se tiendra la semaine prochaine, le sujet semble loin de faire l'unanimité. La France a engagé une réflexion sur l'utilisation d'une taxe pour financer le développement des pays les plus pauvres. Au Royaume-Uni, on voit la taxe Tobin comme un moyen de faire maigrir une industrie financière trop prépondérante dans l'économie. En Allemagne, elle servirait à financer un plan de relance...
Rôle de la spéculation
L'économiste Mark Thoma rappellait début septembre sur son blog que la question de l'efficacité de la taxe dépend de la façon dont on perçoit le rôle de la spéculation sur les marchés financiers. Soit celle-ci joue un rôle dans une plus grande efficacité des marchés, et toute taxe devient contreproductive; soit la spéculation est une source d'instabilité, et la taxe Tobin a tout son intérêt. "Une taxe générale réduirait à la fois la bonne et la mauvaise spéculation, donc il n'est pas clair de mon point de vue que cela aurait un bénéfice. Je préfèrerais un mécanisme qui vise la mauvaise spéculation", affirme Mark Thoma.
De fait, d'autres économistes, comme Thomas Philippon, s'interrogent sur l'impact social de la finance. "Qu'une banque prête aux PME et se rémunère de cette manière ou via les dépôts des clients ne choquent pas. Mais certaines activités font gagner beaucoup d'argent aux banques, sur les marchés notamment, sans que l'on comprenne bien leur intérêt", affirmait-il dans un récent entretien au quotidien Le Monde.
Autres pistes
En août 2000, un rapport de Bercy estimait que la taxe était impossible à mettre en œuvre. Le ministère des finances soulignait à l'époque plusieurs pistes pour éviter que les flux financiers internationaux ne soit une source d'instabilité. Le rapport proposait le retour à une "libéralisation financière ordonnée", estimant qu'une libéralisation généralisée de la finance n'est peut-être pas une solution, à voir le nombre de crises financières internationales du passé, en Amérique Latine, en Asie ou en Chine. Bercy jugeait aussi utile de promouvoir les transferts de capitaux à long terme, qui constituent un réel soutien au développement.
Les experts du ministère de l'économie estimaient en outre que les acteurs privés doivent également prendre leur part dans la gestion des crises. " Il n'est en effet pas acceptable que les erreurs éventuelles d'investissements d'acteurs privés soient intégralement supportées par les pays emprunteurs et, partant, par les populations subissant l'essentiel de l'ajustement économique"… A l'époque, Bercy relevait déjà les lacunes de la réglementation prudentielle internationale, et souligne la nécessité de renforcer la lutte contre la délinquance financière. Des sujets qui, neuf ans plus tard, restent d'une criante actualité.